L’aluminium devient visible

Les zéolithes sont des matériaux extrêmement poreux qui rendent possibles de nombreuses réactions dans l’industrie chimique. Dans le cadre d’une collaboration avec le J. Heyrovský Institute of Physical Chemistry à Prague, des scientifiques du PSI ont réussi une première: déterminer précisément la position des atomes d’aluminium dans le réseau cristallin d’une zéolithe. Cela représente une étape importante sur la voie qui mène à des catalyseurs sur mesure. Leur étude vient de paraître dans la revue spécialisée Science.

Avec son équipe, Jeroen van Bokhoven (à gauche), de l’Institut Paul Scherrer PSI à Villigen, étudie les zéolithes. Son groupe de recherche a été le premier à réussir à déterminer la position des atomes d’aluminium qui jouent un rôle déterminant dans la fonction catalytique de ces matériaux. Les chercheurs y sont parvenus grâce à la Source de Lumière Suisse SLS, où travaille le scientifique Thomas Huthwelker (à droite). © Institut Paul Scherrer PSI/Markus Fischer

Dans la litière pour chat, elles neutralisent les odeurs désagréables; dans la poudre à lessive, elles adoucissent l’eau et protègent ainsi la machine à laver; et dans les raffineries, elles contribuent à la fabrication de l’essence. Elles, ce sont les zéolithes: des matériaux que l’on exploite de manières très diverses. Nous y avons affaire au quotidien et, dans l’industrie, elles font partie des catalyseurs les plus utilisés pour faciliter certaines réactions chimiques. 

Bon nombre de leurs propriétés utiles sont dues à leur structure poreuse en réseau: des atomes de silicium et d’aluminium, reliés entre eux par des atomes d’oxygène, forment une structure cristalline dotées de nombreux petits pores et de nombreux canaux. C’est là que les zéolithes piègent des molécules de gaz ou de liquides, les retiennent et contribuent de la sorte à les transformer en d’autres molécules. Mais c’est seulement récemment que des scientifiques du PSI ont réussi à dessiner une image plus précise de la structure des zéolithes: dans le réseau cristallin, ils ont visualisé les emplacements où se trouvent les atomes d’aluminium qui déclenchent les réactions chimiques.

«Les zéolithes sont des matériaux extrêmement importants, souligne Jeroen van Bokhoven, du Centre des sciences de l’énergie et de l’environnement au PSI. Mais nous comprenons encore trop peu la manière exacte dont elles fonctionnent.» Jusqu’à récemment, les méthodes disponibles permettaient certes de déterminer la position des atomes de la structure, mais il était impossible de distinguer l’aluminium du silicium. Et ce alors que les atomes d’aluminium jouent un rôle particulièrement important: ils forment les centres catalytiques et permettent ainsi à certaines réactions de se produire. Les scientifiques s’y intéressent donc de très près. 

La position exacte des atomes d’aluminium détermine en effet la performance et l’adéquation pour tel type de réaction chimique de chaque zéolithe en tant que catalyseur. On utilise en effet différentes structures de zéolithes pour obtenir différentes réactions chimiques. Avec leur méthode, les scientifiques du PSI ont examiné la zéolithe ZSM-5, un catalyseur particulièrement important dans l’industrie qui présente une structure exceptionnellement complexe. «Nous nous sommes dit: si nous réussissons avec ZSM-5, alors nous n’aurons aucune problème avec les autres zéolithes», raconte Jeroen van Bokhoven.

Vers la personne
Przemyslaw Rzepka
Przemyslaw Rzepka
Przemyslaw Rzepka

Przemyslaw Rzepka, premier auteur de l’étude, étaient postdoc dans l’équipe de Jeroen van Bokhoven au PSI lorsqu’il a mis au point une nouvelle méthode qui permet de distinguer les atomes d’aluminium des atomes de silicium dans les zéolithes. Il est aujourd’hui scientifique au J. Heyrovský Institute of Physical Chemistry à Prague. © Przemyslaw Rzepka

La SLS: un grand microscope 

La science s’est longtemps cassé les dents sur la question de savoir où se trouvent exactement les atomes d’aluminium dans la structure des zéolithes. «La nouvelle méthode que nous avons mise au point résout un problème qui semblait insoluble jusque-là», explique Przemyslaw Rzepka, premier auteur de l’étude. Ce chercheur a travaillé comme postdoc dans l’équipe de Jeroen van Bokhoven et est aujourd’hui scientifique au J. Heyrovský Institute of Physical Chemistry à Prague. 

Jusqu’ici, la science scrutait l’intérieur des zéolithes avec de la lumière de type rayons X conventionnelle pour comprendre la structure des pores et des canaux. Les rayons X sont déviés par les atomes et le diagramme qui en résulte permet de déduire la structure tridimensionnelle du matériau. Le problème est le suivant: dans le tableau périodique des éléments, le silicium et l’aluminium se trouvent juste côte à côte. De fait, dans les expériences conduites avec des rayons X conventionnels, ils semblent pratiquement identiques. D’autres méthodes spectroscopiques, en revanche, se basent sur le fait qu’un matériau absorbe ou influence le rayonnement. Etant donné que l’aluminium et le silicium absorbent différemment le rayonnement, les deux types d’atomes peuvent être distingués. Toutefois ces méthodes-là ne permettent pas de déterminer la position de ces éléments dans l’espace, mais uniquement le nombre et le type d’atomes qui se trouvent dans un matériau.

Les scientifiques du PSI ont trouvé la solution en combinant les deux techniques. Ils ont irradié les matériaux à la Source de Lumière Suisse SLS avec des rayons X mous qui ont une énergie relativement faible. «Le diagramme qui apparaît lorsque les rayons X sont diffusés à travers le matériau nous indique où se trouvent les atomes, explique Przemyslaw Rzepka. Nous examinons ensuite ces positions à l’aide de méthodes spectroscopiques pour identifier de quel type d’atome il s’agit.» 

Cette astucieuse combinaison a été rendue possible grâce à l’unique diffractomètre à rayons X conçu pour les rayons X mous de la ligne de faisceau Phoenix de la SLS. Les scientifiques ont ainsi pu voir pour la première fois une différence entre les atomes de silicium et d’aluminium, et déterminer l’emplacement exact des centres catalytiques où se produit la réaction. 

Plus de dix ans pour atteindre ce résultat 

Les scientifiques du PSI ont démarré leur projet en 2014, soit il y a plus de dix ans. «Plusieurs années de travail acharné ont été nécessaires pour combiner les deux techniques et adapter la ligne de faisceau à la SLS à ces besoins, raconte Przemyslaw Rzepka. Si nous avons réussi, c’est uniquement grâce à une étroite collaboration avec les scientifiques qui travaillent à cette ligne de faisceau.» 

L’un d’eux est Thomas Huthwelker, scientifique à la SLS et coauteur de l’étude. «Grâce à nos décennies d’expérience ici, à la SLS, et à son infrastructure de recherche à la fois solide et diversifiée, nous sommes en mesure de réaliser des projets complètement nouveaux et parfois risqués, mais finalement très enrichissants», relève-t-il.

Maintenant qu’il est possible de déterminer chaque fois la position des atomes d’aluminium dans différentes zéolithes, les scientifiques ont le projet d’examiner la manière dont celle-ci influence la performance du catalyseur. Où les atomes d’aluminium doivent-il se trouver précisément pour qu’une réaction déterminée se produise? L’objectif final est de créer des catalyseurs sur mesure pour certaines réactions spécifiques. «Pour ce faire, nous devons comprendre plus précisément les zéolithes et leurs structure, explique Jeroen van Bokhoven. Nous sommes sur la bonne voie.» Cette méthode permettrait même d’examiner d’autres matériaux que les zéolithes. «C’est maintenant que les choses commencent pour de bon, se réjouit le chercheur. Les dix prochaines années seront extrêmement intéressantes.» 

Prof. Jeroen van Bokhoven
Center for Energy and Environmental Sciences
Institut Paul Scherrer PSI

+41 56 310 50 46
jeroen.vanbokhoven@psi.ch
[allemand, anglais, néerlandais]

Przemyslaw Rzepka
J. Heyrovský Institute of Physical Chemistry
Czech Academy of Sciences

+420 26605 3767
przemyslaw.rzepka@jh-inst.cas.cz
[anglais]

  • Rzepka P, Huthwelker T, Dedecek J, Tabor E, Bernauer M, Sklenak S, et al.
    Aluminum distribution and active site locations in the structures of zeolite ZSM-5 catalysts
    Science. 2025; 388(6745): 423-428. https://doi.org/10.1126/science.ads7290
    DORA PSI