Imaginez qu’une seule photo permette de prédire l’évolution d’une maladie. L’idée peut sembler saugrenue, et pourtant, c’est exactement le résultat espéré d’une collaboration de longue date entre l’équipe de G.V. Shivashankar à l’Institut Paul Scherrer PSI et celle du laboratoire de Caroline Uhler au MIT. Dans un article récemment publié par la revue spécialisée Nature Communications, les scientifiques indiquent avoir découvert, grâce à l’intelligence artificielle, des cellules qui indiquent la présence de la maladie d’Alzheimer. Ils ont utilisé pour cela l’emballage de l’ADN visible sur des photos de cerveaux de souris.
En biologie, la diversité est un facteur important. Les cellules sont dynamiques et la manière dont elles interagissent et se développent dans différentes parties du corps joue un rôle déterminant dans l’apparition et l’évolution des maladies. Un problème dans une seule cellule peut s’étendre à d’autres et déclencher une maladie. Les possibilités de rendre utilisables les informations relatives aux fonctions des différentes cellules sont nombreuses, l’une d’elles étant d’analyser le génome ou les protéines produites. Mais puisque le corps humain compte des milliards de cellules, une question décisive en recherche biomédicale est de savoir comment combiner ces informations avec des données spatiales pour déterminer où se situe l’origine exacte d’une maladie. G.V. Shivashankar, directeur du laboratoire de biologie à l’échelle nanométrique au PSI et professeur de mécanogénomique à l’ETH Zurich, est convaincu que la solution réside dans l’imagerie multiéchelle. «Le prochain grand défi sera de comprendre la fonction cellulaire grâce à des procédés d’imagerie, car à partir du moment où je veux comprendre chaque galet sur la plage, je suis face à un problème de big data.»
Des indices dans l’emballage de l’ADN
L’un des aspects centraux du travail de G.V. Shivashankar et de Caroline Uhler est d’utiliser l’intelligence artificielle pour combiner les informations relatives à l’état des cellules, telles que les données sur l’expression génétique ou la protéomique, avec des données d’imagerie tissulaire. Une possibilité est de reconnaître les indices de la manière dont l’ADN est emballé dans les cellules. «Une Tesla apprend où se trouvent une rue et un signal stop. De la même manière, nous enregistrons des images de la structure de l’emballage de l’ADN, ce qui nous renseigne sur l’état des cellules», explique le chercheur.
Déployé, l’ADN d’une cellule humaine aurait la longueur d’une table. Dans la cellule, il est emballé dans des chromosomes d’un diamètre de dix micromètres environ. Il apparaît que la manière dont l’ADN est emballé est étroitement liée à l’expression génétique, à la production de protéines et à la fonction cellulaire. De nombreuses maladies liées à l’âge, telles le cancer et les maladies dégénératives, entraînent une modification de la structure de l’emballage de l’ADN. Nettement visible sur les images prises à l’aide d’un microscope optique, cet emballage peut ainsi constituer un excellent marqueur biologique pour les maladies liées au vieillissement.
Pour que cela soit possible, il est toutefois nécessaire de savoir à quoi ressemblent un «bon» et un «mauvais» emballage d’ADN. Les scientifiques se servent, à cette fin, d’une source de données séparée relative à la fonction cellulaire et entraînent un algorithme d’apprentissage automatique à reconnaître la structure d’emballage de l’ADN qui correspond à des cellules malades ou saines.
Reconnaître les marqueurs biologiques de la maladie d’Alzheimer
L’article récemment publié dans la revue Nature Communications porte sur la maladie d’Alzheimer, caractérisée par la formation d’agrégats de protéines, les amyloïdes, dans le cerveau. «Nous avons voulu savoir si un dépistage précoce de la maladie d’Alzheimer était possible», explique G.V. Shivashankar. Les membres de son équipe ont utilisé des données sur l’expression génétique – une technique appelée transcriptomique spatiale – pour déterminer quelle protéine est sur le point de produire une cellule tissulaire.
L’équipe a peaufiné le procédé à l’aide de souris génétiquement modifiées pour développer la maladie d’Alzheimer. Les scientifiques ont analysé des coupes de cerveau des rongeurs à intervalles réguliers pour étudier l’expression génétique et l’emballage d’ADN des différentes cellules tandis que la maladie évoluait. En entraînant le modèle à reconnaître comment l’ADN est emballé dans une cellule située à proximité des inclusions amyloïdes, les chercheuses et les chercheurs sont parvenus à reconnaître les cellules et les zones du cerveau dans lesquelles la maladie progressait. «Cette méthode doit nous permettre d’établir une carte sur laquelle nous pourrons reconnaître où la maladie progresse plus rapidement dans le cerveau», indique encore G.V. Shivashankar. Le recours à l’intelligence artificielle peut aussi servir à surveiller d’autres protéines et maladies et pourrait constituer une base performante pour comprendre comment les maladies liées à l’âge telles qu’Alzheimer apparaissent dans le but de développer, en fin de compte, des méthodes d’intervention précoce.
Quand biologie et big data vont de pair
G.V. Shivashankar considère que la possibilité de réunir plusieurs domaines de données démontrée dans ses récents travaux est une révolution pour la recherche biomédicale. La biologie est incroyablement complexe. La disposition spatiale et les relations entre les composants cellulaires ont un impact considérable sur la fonction biologique. «Passer de la séquence à la structure au niveau moléculaire est une chose. La manière dont les protéines sont assemblées dans la cellule ou au-delà des cellules individuelles dans les tissus en est une autre. Chaque cellule est comme une ville: elle doit être organisée dans l’espace et dans le temps», dit-il. L’intelligence artificielle et l’informatique promettent, en lien avec les bonnes questions biologiques et les jeux de données adéquats, de considérer la biologie sous un jour nouveau.
Contact
Prof. Dr. G.V. Shivashankar
Directeur du Laboratoire de biologie à l’échelle nanométrique
Institut Paul Scherrer PSI
+41 56 310 42 50
gv.shivashankar@psi.ch
Publication originale
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Zhang X, Wang X, Shivashankar GV, Uhler C
Graph-based autoencoder integrates spatial transcriptomics with chromatin images and identifies joint biomarkers for Alzheimer’s disease
Nature Communications. 2022; 13(1): 7480 (17 pp.). https://doi.org/10.1038/s41467-022-35233-1
DORA PSI