Plus rapide, précise et fiable: la production et son avenir

De nouvelles techniques de fabrication ultramodernes – dites de «fabrication avancée» (advanced manufacturing) – représentent l’une des clés pour l’avenir de la place industrielle suisse. A l’Institut Paul Scherrer PSI, les scientifiques travaillent à perfectionner l’impression 3D. Ils étudient également de nouveaux matériaux pour l’industrie des semi-conducteurs et développent une «peau de robot», couverte de minuscules capteurs, pour rendre sensible la pointe des doigts de machines. 

Si l’on veut réaliser de manière fiable des composants standardisés par impression 3D pour l’industrie, il faudra faire encore évoluer ce procédé. Mais, pour Steven Van Petegem, du Centre des sciences photoniques du PSI, son potentiel est important. Pour ce portrait, il pose devant une imprimante virtuelle. © Institut Paul Scherrer PSI/Markus Fischer

L’impression 3D, c’est-à-dire le fait d’imprimer des pièces ou des produits entiers en trois dimensions, est peut-être l’exemple le plus connu de «fabrication avancée» (advanced manufacturing). Cette technique de fabrication additive est particulièrement prometteuse pour l’industrie aéronautique et aérospatiale, l’industrie automobile et la médecine. «Son potentiel est énorme», relève Steven Van Petegem, chercheur du groupe Structure et mécanique de nouveaux matériaux au Centre des sciences photoniques du PSI. Mais d’importants défis subsistent pour son utilisation à l’échelle industrielle: à l’heure actuelle, la méthode n’est pas encore suffisamment fiable. «Il existe peu de matériaux avec lesquels il est possible de produire, par impression 3D, des milliers d’exemplaires d’un composant standardisé avec une qualité élevée et constante, explique-t-il. Pour produire des pièces destinées à un avion, par exemple, des améliorations sont encore nécessaires.» 

Le composant en question pourrait en effet présenter des fissures ou des pores. Si l’on découvre ce qui se passe lors du processus d’impression, il devient possible d’expliquer pourquoi cela se produit. C’est pour cette raison que les scientifiques du PSI ont mis au point des mini-imprimantes spéciales qu’ils peuvent intégrer aux grandes installations de recherche. «Nos installations et nos machines uniques en leur genre nous permettent de scruter les profondeurs du matériau pendant le processus d’impression et de voir comment la microstructure évolue durant la fabrication», explique Markus Strobl, responsable du groupe de recherche Matériaux avancés au Centre de recherche avec neutrons et muons du PSI. 

Les scientifiques du PSI ont commencé, il y a cinq ans, avec un appareil qui mesurait tout juste 50 centimètres et qui était prévu pour la Source de Lumière Suisse. Entre-temps, la mini-imprimante de Villigen est devenue si prisée à l’international qu’elle est constamment en service. Elle est également utilisée aux synchrotrons de Hambourg et de Grenoble. Ce succès a poussé les scientifiques à construire un deuxième appareil, qu’ils ont installé pour la première fois, en 2024, à la source suisse de neutrons à spallation SINQ. «Les expériences menées avec cet appareil ont d’emblée fonctionné, ce qui représente une performance remarquable, notamment pour notre doctorante Shieren Sumarli», souligne Markus Strobl.

Il est essentiel d’atteindre une très grande précision. C’est seulement à cette condition que l’industrie utilisera ce procédé pour le contrôle qualité.

Steven Van Petegem, chercheur au Centre des sciences photoniques du PSI

Les deux mini-imprimantes appliquent la même méthode, qui figure parmi les plus répandues dans l’impression 3D à grande échelle: la fusion sur lit de poudre par laser. Le métal est déposé sous forme de poudre fine sur une plaque support. Puis le rayon laser passe sélectivement sur la poudre, la fait fondre et lui donne la forme souhaitée. Vient la couche de poudre suivante, que le laser fait fondre à son tour. Le composant grandit ainsi, couche après couche. La lumière synchrotron ou les neutrons permettent de suivre ce processus sur place (in situ) et en temps réel (operando). 

Actuellement, les scientifiques s’intéressent tout particulièrement à la fabrication d’échantillons composés de plusieurs matériaux. En effet, une impression 3D de multimatériaux pourrait permettre la fabrication de pièces fonctionnelles et de se passer des procédures d’assemblage et de montage. Dans le cadre de leurs expériences à la SINQ, les chercheuses et les chercheurs ont imprimé une combinaison d’acier et de cuivre qui se prête à la construction d’échangeurs de chaleur. L’acier fournit la stabilité mécanique, alors que le cuivre conduit particulièrement bien la chaleur. A l’aide des neutrons, les scientifiques ont pu suivre pour la première fois la formation de ce qu’on appelle les «phases magnétiques» pendant le processus d’impression. Ils pensent qu’il pourrait exister un lien entre ce phénomène et la formation de fissures. 

Dans le cadre d’autres expériences à la SLS, ils ont examiné des combinaisons de cuivre et de nickel, et de cuivre et d’aluminium. «Nous avons obtenu des résultats impressionnants qui montrent ce qui se passe lorsque le matériau fondu se refroidit particulièrement vite, explique Steven Van Petegem. Grâce à la lumière synchrotron, nous pouvons réaliser des prises de vues de manière extrêmement rapide, jusqu’à 40000 par seconde.» Cela permet de scruter surtout des échantillons très minces. Les neutrons de la SINQ, en revanche, pénètrent plus profondément dans le matériau et permettent de visualiser, entre autres, des tensions dans le réseau cristallin, au niveau des atomes. «Les deux méthodes se complètent de façon idéale», conclut Markus Strobl. 

Mais il est aussi possible d’entendre les fissures en train d’apparaître pendant l’impression et donc de les mesurer de manière acoustique. Un micro ultrasensible est positionné dans ce qu’on appelle une «chambre d’impression» pour enregistrer les signaux acoustiques pendant le processus de fabrication. Ce projet est soutenu par le Fonds national suisse dans le cadre du programme Sinergia; hormis le PSI, l’EPFL et l’Empa y participent également. Les scientifiques utilisent les faisceaux de rayons X et les neutrons pour attribuer la bonne signification à certains signaux acoustiques. Ensuite, l’intelligence artificielle entre en jeu. Grâce à l’apprentissage automatique, l’enregistrement sonore peut être interprété instantanément, alors qu’il reste chaotique pour les êtres humains. De la sorte, si l’on remarque une anomalie, on peut la corriger pendant le processus. «Il est essentiel d’atteindre une très grande précision, explique Steven Van Petegem. C’est seulement à cette condition que l’industrie utilisera ce procédé pour le contrôle qualité.»

Ces dernières années, pratiquement tous les fabricants de micropuces sont venus faire des tests au PSI.

Yasin Ekinci, directeur de laboratoire au Centre des sciences photoniques du PSI
Les puces informatiques sont à base de silicium. Yasin Ekinci, directeur de laboratoire au Centre des sciences photoniques du PSI, nous montre un wafer rond, fabriqué à partir de ce matériau ultrapur. L’industrie des semi-conducteurs utilise la photolithographie pour créer les structures les plus fines à leur surface. Nous les avons esquissées sur le wafer par traitement d’image © Institut Paul Scherrer PSI/Markus Fischer

Epauler la place industrielle suisse 

«Les exigences envers les matériaux sont aujourd’hui beaucoup plus élevées que par le passé, explique Frithjof Nolting, directeur du Laboratoire de physique de la matière condensée au Centre des sciences photoniques du PSI. La fabrication avancée est une importante thématique d’actualité, avec laquelle nous épaulons la place industrielle suisse.» Nombre de matériaux sont composés de différents éléments qui ont des fonctions diverses. Cela nécessite des connaissances précises et détaillées. Alors qu’auparavant, pour simplifier les choses, on s’intéressait uniquement à la dureté, à la composition ou à l’élasticité d’un matériau, il faut aujourd’hui impérativement connaître sa structure micrométrique et nanométrique pour comprendre comment il se comportera lors d’un processus de fabrication. «Au PSI, avec nos techniques, nous sommes en mesure de fournir ces informations, souligne Frithjof Nolting. C’est notre force.» 

En 2019, ce chercheur faisait partie des fondateurs du centre de transfert de technologie ANAXAM, qui offre aux entreprises de l’industrie un accès facilité aux grandes installations de recherche du PSI afin qu’elles puissent y analyser leurs matériaux et leurs processus de production. ANAXAM est l’acronyme de Analytics with Neutrons and X-Rays for Advanced Manufacturing. Le centre est financé aux deux tiers par des fonds publics et le troisième tiers est assuré par des contributions des partenaires de l’industrie. «ANAXAM met ses compétences d’analyse et les grandes installations de recherche SLS et SINQ du PSI à la disposition des entreprises industrielles et des instituts de recherche dans le cadre d’expériences et de mesures, explique Christian Grünzweig, directeur du centre. Nos clients peuvent ainsi optimiser leurs processus et leurs produits, notamment dans le domaine de la fabrication avancée.» 

A une ligne de faisceau de la SLS, l’entreprise genevoise Givaudan a ainsi étudié la structure 3D de snacks soufflés, fabriqués avec de nouveaux ingrédients. La société Huba Control, sise à Würenlos et spécialisée dans la technologie de mesure de pression et de débit, a pu augmenter la robustesse des capteurs qu’elle venait de développer. L’examen mené par tomodensitométrie synchrotron à haute résolution a permis d’optimiser le parcours des fibres de verre dans la pièce en plastique, moulée par injection, du tube de mesure. Quant à l’entreprise Winterthur Gas & Diesel (WinGD), qui développe des moteurs de navires, elle a analysé à la SLS des buses d’injection de moteurs diesel fabriqués de manière additive afin d’améliorer le processus de fabrication et de produire des buses avec des propriétés d’écoulement optimales. 

«ANAXAM s’est fixé pour objectif d’épauler les clients de l’industrie pendant l’ensemble du cycle de vie de leurs produits et de leurs processus, afin qu’ils puissent mettre sur le marché des produits innovants et de haute qualité», rappelle Christian Grünzweig. «Avec une cinquantaine de projets par an, cela représente une belle success-story», renchérit Frithjof Nolting. En 2023, un deuxième centre de technologie a été fondé au PSI. Le Swiss Photonics Integration Center (Swiss PIC) offre ses services à l’industrie photonique, qui exploite la lumière pour la transmission d’informations. Les deux centres sont membres de l’association faîtière Advanced Manufacturing Technology Transfer Centers (AM-TTC), qui s’engage à ce que les nouvelles technologies de fabrication passent des laboratoires de recherche à des applications industrielles. 

Les fabricants de micropuces testent de nouveaux matériaux 

Dans l’industrie des semi-conducteurs, l’institut de recherche de Villigen est une adresse bien connue. «Ces dernières années, pratiquement tous les fabricants de micropuces sont venus faire des tests au PSI, raconte Yasin Ekinci, directeur du Laboratoire de nanosciences et de technologie des rayons X, également hébergé au Centre des sciences photoniques. Dans le secteur de l’industrie des semi-conducteurs, la fabrication avancée désigne principalement la photolithographie.» De la lumière ultraviolette frappe un masque photographique qui sert de modèle aux pistes conductrices et aux transistors de la puce. Un système optique complexe réduit l’image de ce masque et la projette à plusieurs reprises sur une couche de silicium enduite d’une résine photosensible, appelée «photoresist». 

«Au début, on dénombrait un millier de transistors sur une puce et, aujourd’hui, 100 milliards sur une surface équivalente à l’ongle de votre pouce», explique Yasin Ekinci. Si cette incroyable miniaturisation a été rendue possible, c’est grâce à l’évolution de la photolithographie, qui est passée à une lumière avec des longueurs d’onde toujours plus courtes. Désormais, les puces les plus performantes, qui équipent par exemple les principaux smartphones, utilisent ce qu’on appelle du rayonnement ultraviolet extrême (EUV) d’une longueur d’onde de 13,5 nanomètres (1 nanomètre équivaut à 1 millionième de millimètre). Mais, pour y arriver, il a fallu mettre au point une technique entièrement nouvelle, au développement de laquelle le PSI a contribué de manière essentielle. 

Les puces à haute performance sont fabriquées dans ce que l’on appelle des «scanners», qui sont les machines les plus complexes jamais construites. Les tests sur les appareils d’origine seraient très risqués et impliqueraient un effort disproportionné. A la place, l’industrie exploite le rayonnement ultraviolet extrême que produit la Source de Lumière Suisse SLS. «Ici, à la 5232 — #1/2025 13 Advanced Manufacturing SLS, nous avons une méthode beaucoup plus efficace, plus rapide et meilleur marché pour la lithographie EUV, explique Yasin Ekinci. Nous ne pouvons pas l’utiliser pour fabriquer des transistors mais les structures les plus fines et offrir différentes possibilités de tests.» Son équipe détient même un record du monde. Alors que la photolithographie industrielle fabrique des structures faites de lignes espacées d’environ dix nanomètres, les plus fines produites à la SLS présentent un motif avec des interlignes de seulement cinq nanomètres. «Il s’agit des structures les plus fines jamais créées par l’être humain», précise Yasin Ekinci. 

Ce sont surtout de nouvelles résines photosensibles qui font l’objet d’innombrables tests au PSI. Car, pour la photolithographie EUV, les matériaux courants ne conviennent plus. Les tests ont permis de savoir si une nouvelle résine photosensible satisfaisait aux exigences de résolution et de sensibilité lors de la gravure. Dans ce contexte, la collaboration avec l’industrie demandait du doigté et de la discrétion. Yasin Ekinci aurait volontiers développé lui-même un nouveau photoresist, mais il a longtemps hésité: «Si nous avions fait quelque chose de similaire à nos clients, cela aurait pu être perçu comme une rupture de confiance, explique-t-il. Mais nous avons osé nous lancer dans quelque chose de complètement nouveau.» 

Les résines photosensibles existantes sont composées de polymères, autrement dit de longues chaînes de molécules. «Au niveau atomique, cela ressemble à un amas de câbles, décrit Yasin Ekinci. Or, si l’on veut graver de manière toujours plus fine, on a besoin de molécules beaucoup plus petites comme éléments constitutifs.» Au cours des deux dernières années, son groupe a donc développé un matériau novateur fondé sur un oxyde métallique. Le transfert de cette recherche académique vers un produit industriel nécessite d’importants investissements. Voilà pourquoi le groupe du PSI collabore désormais avec l’entreprise finlandaise PiBond, qui a fondé une succursale au Park Innovaare. PiBond doit poursuivre le développement du PSI et le commercialiser.

Avec son entreprise spin-off Inveel, Barbara Horvath, ancienne chercheuse au PSI, développe une méthode de fabrication qui permet d’imprimer des circuits électroniques sur une surface en polymère. Son objectif est de créer une sorte de peau électronique pour robots, comme celui, fictif, que nous avons inséré dans cette image © Institut Paul Scherrer PSI/Markus Fischer

Une peau pour les robots 

Inveel, l’entreprise spin-off récemment fondée par Barbara Horvath, a, elle aussi, son siège au Park Innovaare. «Imaginez un robot qui veut soulever cette tasse de café, explique cette spécialiste des sciences des matériaux en saisissant la tasse posée devant elle sur la table. Avec la peau que nous avons développée pour ses doigts, il y parviendra très facilement.» Barbara Horvath s’est vu attribuer un Founder Fellowship du PSI, par lequel l’institut la soutient dans la réalisation d’un produit fondé sur ses résultats de recherche. 

Lorsqu’elle était postdoctorante au PSI, cette ancienne chercheuse a en effet développé une méthode de fabrication novatrice en vue d’imprimer des circuits électroniques sur une surface en polymère. «Et ce à très haute résolution, à très grande vitesse et sur de grandes surfaces», précise-t-elle. A présent, elle travaille avec son équipe à la mise au point d’un prototype de peau pour robot. De minuscules capteurs sont imprimés les uns à côté des autres sur un film de grande surface, avec une échelle de mesure qui descend jusqu’à quelques centaines de nanomètres. «Si l’on applique cette peau sur le bout des doigts d’un robot, celui-ci sentira non seulement les points isolés, mais il les assemblera pour composer une sorte de carte tactile: celle-ci lui indiquera s’il touche l’objet par le haut, par le bas ou au milieu, poursuit Barbara Horvath. Il pourra ainsi mieux le saisir et le manipuler.» 

La méthode de Barbara Horvath commence par la conception et la fabrication d’un tampon précis. Cette fabrication se fait dans la salle blanche de 450 mètres carrés récemment construite par le PSI au Park Innovaare: «Nous y disposons des machines high-tech dont nous avons besoin ainsi que d’excellentes conditions», souligne-t-elle. Le tampon est mis en contact avec le matériau afin de préparer la surface. Cela permet de placer précisément des nanoparticules métalliques à l’étape suivante, qui sont ensuite fusionnées pour former de minuscules nanofils. Barbara Horvath ne veut pas en dire plus: «Nous sommes toujours en train de déposer des brevets et je ne veux pas compromettre ce processus», explique-t-elle. 

Si l’on applique cette peau sur le bout des doigts d’un robot, celui-ci sentira non seulement des points isolés, mais il les assemblera pour composer une sorte de carte tactile.

Barbara Horvath, CEO et cofondatrice d’Inveel GmbH

Ce procédé de fabrication pourrait servir à d’autres fins: par exemple, des fenêtres intelligentes qui ne laisseraient passer que certaines longueurs d’onde de lumière incidente et réguleraient ainsi la température intérieure. Mais, pour l’instant, Barbara Horvath veut se concentrer sur la mise au point de la peau de robot en vue de sa commercialisation. Des capteurs de température et d’humidité pourraient également être imprimés sur la surface en polymère. Le robot pourrait ainsi sentir si quelqu’un respire près de lui. «Pour l’instant, cela semble très futuriste», admet-elle. Mais elle est convaincue que ce développement finira par s’imposer: «Il se pourrait bien que, très bientôt, un robot de ce genre soit capable de saisir ma tasse et de la rapporter», affirme Barbara Horvath.