Des données pour un meilleur flux de vanadium

Le vanadium est une matière première critique. Ce métal permet de construire des batteries dites à flux redox, qui stockent le courant électrique plus durablement que les batteries lithium-ions. De ce fait, elles sont considérées comme une composante importante de la transition énergétique. Mais l’approvisionnement en vanadium est encore insuffisamment développé, et les prix varient fortement, ce qui freine les investissements. Une banque de données créée par des scientifiques à l’Institut Paul Scherrer PSI doit changer la donne.

Le vanadium pur à 99,9 % brille de mille feux. Ce métal est utilisé pour fabriquer des accumulateurs d’électricité particulièrement durables et sûrs, appelés batteries à flux redox. Des scientifiques de l’Institut Paul Scherrer PSI ont créé une banque de données dynamique pour accélérer le déploiement de cette technologie. © Adobe Stock

Les chercheurs du PSI ont créé une banque de données dynamique sur le vanadium. Cette matière première est un métal qui présente un potentiel important pour la transition énergétique: les batteries dites à flux redox au vanadium peuvent stocker le courant électrique sur des périodes plus longues que la technologie lithium-ions largement répandue. Elles sont donc particulièrement adéquates pour stocker le courant excédentaire produit par le solaire et l’éolien dans de grandes installations avant de le réinjecter par la suite. De la sorte, ces batteries peuvent servir de tampons énergétiques qui stabilisent le réseau électrique et garantissent l’approvisionnement, même pendant les périodes dites «de calme plat», lorsque ni le vent ni le soleil ne fournissent suffisamment de courant. Le manque de ce type de solutions de stockage est considéré comme l’un des plus grands défis du tournant énergétique, car le courant éolien et solaire n’est pas disponible constamment, contrairement à l’électricité produite dans des centrales à charbon ou à gaz.

Dans l'équipe de Sarbajit Banerjee, directeur du Laboratoire de science des batteries au Centre des sciences de l’énergie et de l’environnement du PSI et professeur de chimie à l’ETH Zurich, Benjamin Rogers, doctorant au PSI et à l’ETH Zurich, a réuni pendant plus de deux ans des données émanant de tous les acteurs de l’économie du vanadium – des exploitants miniers à l’industrie de transformation – pour mettre au point la banque de données. Il s’agit notamment d’informations sur les gisements, présumés et confirmés, à partir desquels le vanadium pourrait être extrait de manière rentable, sur les volumes d’extraction prévus et réalisés, sur les besoins, les formes et les volumes de transformation, sur les prix et d’autres indicateurs pertinents. Toutes ces données ont été intégrées dans une sorte de «carte mondiale vivante» du vanadium, qui est constamment actualisée en fonction des développements actuels et mise à disposition de tous les acteurs du secteur: entreprises, gouvernements, scientifiques. «L’objectif est de créer une base fiable pour les décisions en matière d’investissements et de politiques, explique Benjamin Rogers. Une telle base faisait défaut jusque-là.» De ce fait, le marché du vanadium est encore restreint et très volatile, avec une importante fluctuation des prix, et nombre d’entreprises hésitent à investir dans son exploitation. Par conséquent, l’approvisionnement n’est pas assuré de manière fiable.

Benjamin Rogers (à gauche) et Sarbajit Banerjee ont développé une banque de données dynamique sur l’économie globale du vanadium à l’Institut Paul Scherrer PSI. Elle devrait faire avancer l’utilisation du vanadium dans les batteries à flux redox et donc contribuer à la transition énergétique. © Institut Paul Scherrer PSI/Markus Fischer

Domination du marché et fluctuations des prix 

Bien qu’il existe suffisamment de gisements de vanadium dans le monde, ce métal a longtemps été considéré comme trop rare et trop coûteux pour pouvoir être envisagé comme une solution pour le stockage à large échelle de courant vert excédentaire. Entre-temps, les prix ont chuté, mais au point que les nouveaux projets miniers en Australie sont économiquement menacés. La principale raison de ces fortes fluctuations réside dans la concentration du marché: plus de 60 % de la production annuelle mondiale, qui s’élève à quelque 150 000 tonnes, provient de Chine et le reste presque exclusivement de Russie, d’Afrique du Sud et du Brésil. Des pays comme l’Australie, le Canada, les Etats-Unis et le Kazakhstan disposent également d’importantes réserves, mais celles-ci ne sont pratiquement pas exploitées. 

Jusqu’ici, le vanadium était surtout utilisé dans l’alliage de l’acier de construction pour améliorer sa résistance. Une modification de la loi chinoise, consécutive au grave tremblement de terre de 2008, a rendu son ajout contraignant, faisant grimper la demande et, avec elle, le prix. Avec la fin de ce boom de la construction en Chine, le prix s’est effondré et a fait vaciller les projets miniers déjà planifiés en Australie.

Des données fiables sur les matières premières 

«L’objectif de notre projet est d’éviter de tels extrêmes en matière de prix et de permettre une production de vanadium plus fiable et plus durable», explique Sarbajit Banerjee. Depuis des années, ce chimiste de formation étudie ce métal comme matériau pour les cathodes de batteries, les catalyseurs et les technologies informatiques. Deux start-up issues de son groupe de recherche ont déjà vu le jour dans ce secteur: l’une développe des cathodes en vanadium, l’autre des procédés d’extraction du lithium à partir de l’eau à l’aide de vanadium. «Nous avions donc depuis longtemps de bons contacts dans le secteur, et tout le monde a reconnu la nécessité d’un projet comme le nôtre», souligne Sarbajit Banerjee. 

L’organisation Vanitec est le principal partenaire dans le développement de la banque de données. Elle rassemble de nombreux acteurs du secteur spécialisés dans le vanadium.

Dans la mesure du possible, les scientifiques font vérifier l’exactitude des données de manière indépendante afin de garantir leur fiabilité. «L’aspect le plus difficile n’a pas été de se procurer les données, mais de les harmoniser», raconte Benjamin Rogers. En effet, ces dernières existent sous différents modes de comptabilisation et ont donc dû être harmonisées pour permettre une bonne comparabilité.

On recherche: des modèles de financement innovants 

En disposant de paramètres fiables, les petites et grandes entreprises, les investisseurs et les décideurs politiques peuvent planifier de manière plus durable. Ce point est important si l’on considère qu’il peut s’écouler dix, voire quinze ans, entre la découverte d’un gisement et l’extraction, puis la vente du métal. «Nombre de grandes entreprises minières, qui peuvent patienter pendant cette période sans investisseurs, ne se lancent pas sur le marché du vanadium tant qu’un volume de 500 000 tonnes par an n’a pas été atteint», relève Sarbajit Banerjee.

Pour son équipe, il faudrait donc disposer, en plus des données, de modèles de financement innovants. Une idée serait par exemple des garanties d’achat à long terme. L’Inde, qui a besoin de beaucoup de vanadium, pourrait par exemple s’engager auprès de l’Australie à acheter une certaine quantité par an dès que ses mines commenceront à produire. 

Une autre possibilité est ce qu’on appelle le leasing de matières premières, comme cela se fait déjà pour certains autres métaux: le pays producteur de vanadium «loue» en quelque sorte son vanadium pour une durée déterminée. Ainsi, les pays producteurs restent propriétaires de leurs ressources minières. Pour les acheteurs, l’investissement en capital et le risque diminuent. Quant à la demande, elle reste stable.

 

Les batteries à flux redox au vanadium stockent l’énergie dans des solutions électrolytes aqueuses au vanadium. Ces liquides conducteurs permettent le passage du flux d’électricité dans la batterie. Ils circulent dans de grandes cuves et sont acheminés par un système de pompage vers une cellule électrochimique où s’opère la conversion d’énergie.

Contrairement aux batteries lithium-ions, les batteries à flux redox offrent une combinaison flexible de puissance et de capacité de stockage: la puissance dépend de la taille de la cellule et la capacité dépend uniquement de la taille de la cuve qui peut être agrandie après coup.

La possibilité de récupérer le vanadium pratiquement sans perte après utilisation constitue un avantage décisif: ce dernier est présent exclusivement dans l’électrolyte et peut en être extrait à plus de 99 % par filtrage. Avec les batteries lithium-ions, les électrodes de puissance et l’électrolyte sont inséparables, ce qui limite la capacité en termes de conception. Par ailleurs, le lithium ne peut être dissocié des différents composants qu’au prix d’efforts considérables. 

Autre avantage: les batteries à flux redox au vanadium ont une très longue durée de vie. Elles atteignent jusqu’à 20 000 cycles de charge sans perte notable de puissance et une durée de vie de 15 à 20 ans, voire davantage. Leurs inconvénients sont leurs coûts élevés, le fait qu’elles nécessitent plus de place et leur moindre efficacité de stockage (jusqu’à 20 % de perte d’énergie). «Ces points sont toutefois largement compensés par les avantages qu’offre notamment la plus grande capacité de stockage de ces installations, explique Sarbajit Banerjee. D’autant plus que les pertes d’efficacité sont plus faciles à accepter dans le cas de l’électricité verte que dans celui de l’électricité produite à partir du charbon, par exemple.» 

Mais le plus grand avantage est le suivant: la forte teneur en eau de l’électrolyte rend les batteries à flux redox au vanadium ininflammable. Leur fonctionnement est donc nettement plus sûr que celui de grands accumulateurs d’énergie utilisant la technique lithium-ions plus facilement inflammable.

La plus grande installation de batteries au monde devrait bientôt voir le jour en Suisse 

Les batteries à flux redox au vanadium sont surtout utilisées comme de grands réservoirs stationnaires pour stabiliser le réseau, notamment dans les parcs solaires et éoliens ou encore chez les consommateurs industriels. Mais elles conviennent aussi aux grands complexes de logements ou pour alimenter les centres de données qui ont besoin de toujours plus de courant, notamment depuis le développement fulgurant de l’intelligence artificielle: à Laufenburg, en Suisse, la plus grande installation au monde de batteries à flux redox au vanadium est actuellement en construction, juste à côté d’un centre de données IA. Avec ses 960 cuves et ses 250 millions de litres d’électrolyte liquide, elle devrait offrir une capacité de stockage de 1,6 gigawattheures.

Sarbajit Banerjee et Benjamin Rogers espèrent que cet exemple fera école et que les batteries à flux redox au vanadium seront davantage utilisées pour faire avancer la transition énergétique. «Nous sommes à un moment crucial, souligne Sarbajit Banerjee. Si nous réussissons à extraire le vanadium de manière efficace et économique, et à fabriquer ces batteries en grand nombre, cela pourrait contribuer de manière significative à un approvisionnement énergétique stable et durable.» Avec leur nouvelle banque de données dynamique, les scientifiques contribuent à ce que d’autres marchés aient accès plus rapidement aux informations nécessaires et puissent tirer parti du potentiel de cette technologie.

Prof. Sarbajit Banerjee
PSI Center for Energy and Environmental Sciences
Institut Paul Scherrer PSI

+41 56 310 37 24
sarbajit.banerjee@psi.ch
[anglais]

Benjamin Lowell Rogers
PSI Center for Energy and Environmental Sciences
Institut Paul Scherrer PSI

+41 56 310 40 21
benjamin.rogers@psi.ch
[anglais]

Mine the Gap: Sourcing Vanadium for the Energy Transition

Benjamin Rogers and Sarbajit Banerjee
Joule, 01.10.2025
DOI: 10.1016/j.joule.2025.102139

À propos du PSI

L'Institut Paul Scherrer PSI développe, construit et exploite des grandes installations de recherche complexes et les met à la disposition de la communauté scientifique nationale et internationale. Les domaines de recherche de l'institut sont centrés sur des technologies d'avenir, énergie et climat, innovation santé ainsi que fondements de la nature. La formation des générations futures est un souci central du PSI. Pour cette raison, environ un quart de nos collaborateurs sont des postdocs, des doctorants ou des apprentis. Au total, le PSI emploie 2300 personnes, étant ainsi le plus grand institut de recherche de Suisse. Le budget annuel est d'environ CHF 450 millions. Le PSI fait partie du domaine des EPF, les autres membres étant l'ETH Zurich, l'EPF Lausanne, l'Eawag (Institut de Recherche de l'Eau), l'Empa (Laboratoire fédéral d'essai des matériaux et de recherche) et le WSL (Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage). (Mise à jour: juin 2025)