Un détecteur ultrasensible, un hélicoptère Super Puma et un algorithme intelligent: les scientifiques de l’Institut Paul Scherrer PSI collaborent avec la Centrale nationale d’alarme (CENAL) et d’autres partenaires pour détecter, depuis le ciel, les sources radioactives situées au sol.
Que fait un bidon de sel de déneigement dans un laboratoire de physique? David Breitenmoser a la réponse: «Le sel de déneigement est du chlorure de potassium, qui contient l’isotope radioactif K-40, dont l’intensité de rayonnement est toutefois très faible.» Le physicien utilise ce sel pour démontrer les performances d’un détecteur hors pair. Cet appareil extrêmement précis n’est pas utilisé dans un laboratoire, mais embarqué dans le ventre d’un hélicoptère Super Puma de l’armée suisse, afin de détecter le rayonnement radioactif depuis le ciel.
À l’aide de quatre de ces détecteurs, des scientifiques du PSI collaborent avec la Centrale nationale d’alarme (CENAL) et d’autres partenaires pour effectuer, chaque année, des mesures d’aéroradiométrie visant à déterminer la situation radiologique actuelle en Suisse. Il s’agit par exemple de mesurer le rayonnement radioactif ambient ou de contrôler l’environnement des installations nucléaires. Ces vols de mesure permettent de passer au crible près de cent kilomètres carrés en trois heures. Ce gain d’efficacité est non négligeable, par exemple lors d’incidents dans des centrales nucléaires ou d’accidents impliquant des matières radioactives pendant un transport ou dans l’industrie. L’aéroradiométrie contribue ainsi de manière importante à la protection de la population.
A bord du laboratoire volant
Pendant les mesures d’aéroradiométrie, le Super Puma vole à une hauteur de 90 mètres au-dessus du sol et surveille une zone d’environ 300 mètres de rayon. La tâche est loin d’être simple: outre l’altitude considérable et la surface relativement réduite couverte par le détecteur, l’atmosphère terrestre affaiblit le rayonnement, de sorte que seule une fraction infime de celui-ci parvient effectivement jusqu’à l’appareil. «C’est pourquoi le détecteur doit être extrêmement sensible», explique David Breitenmoser.
Le détecteur permet aux scientifiques de déterminer le type, mais aussi la quantité de matériau radioactif, du moins en théorie. Dans la pratique, un calibrage exact est indispensable: «Pour cela, nous devrions répartir des radionucléides sur une vaste surface, les survoler puis mesurer comment le détecteur réagit à ce rayonnement. Bien sûr, personne ne souhaite cela», dit le physicien.
Calibrage par ordinateur
Pour pouvoir évaluer la quantité de matière radioactive sans utiliser de substances radioactives, David Breitenmoser développe une simulation informatique complexe qui lui permet de modeler la manière dont le détecteur réagit aux différents facteurs d’influence. Que se passe-t-il par exemple avec le signal quand le photon atteint le détecteur sous un autre angle? Ou lorsque la source n’est pas un point unique mais une vaste surface? Comment la pression atmosphérique ou la nature du sol influencent-elles le signal?
Tous ces détails doivent être pris en compte dans la simulation, ce qui rend les calculs extrêmement longs. «Sur notre ordinateur central ici au PSI, une simulation dure environ un jour. Mais si nous voulons calibrer notre détecteur pour tous les scénarios possibles, nous avons besoin de plus d’un million de simulations. Summa summarum: plus de 1000 années de temps de calcul.»
Pour raccourcir cette durée et rendre possibles de tels calculs, David Breitenmoser a trouvé une astuce: il divise le problème en deux simulations distinctes. «Si nous simulons les signaux possibles du détecteur et les influences de l’environnement séparément et que nous ne les réunissons qu’à la fin du processus, nous pouvons réduire l’effort de calcul d’un facteur de 10 puissance 6 – nous sommes donc un million de fois plus rapides qu’avant», explique le chercheur.
Dans le cadre de son travail de doctorat au PSI, qui a entre autres été soutenu par l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN), David Breitenmoser est parvenu à effectuer les calculs nécessaires. Son astuce lui a permis de réaliser en deux semaines les simulations qui auraient en principe nécessité 1000 années de calcul. Avec son équipe, il peut désormais déterminer, sur un simple ordinateur portable, comment le détecteur réagit à une source radioactive. Un premier essai sur le terrain a montré que le nouveau système fonctionnait. Il serait donc théoriquement possible de déterminer la quantité de sel de déneigement épandue sur les routes en hiver.
Publication originale
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Breitenmoser D, Cerutti F, Butterweck G, Kasprzak MM, Mayer S
Emulator-based Bayesian inference on non-proportional scintillation models by compton-edge probing
Nature Communications. 2023; 14(1): 7790 (12 pp.). https://doi.org/10.1038/s41467-023-42574-y
DORA PSI