Des scientifiques du Centre des sciences de la vie à l’Institut Paul Scherrer PSI ont réussi une première: montrer comment certains défauts génétiques modifient en profondeur l’architecture interne des cils vibratiles humains. Les résultats de leur étude indiquent que les dommages structurels diffèrent suivant la mutation, ce qui suggère potentiellement qu’il existe des formes passées inaperçues jusqu’ici d’une maladie encore mal comprise: la dyskinésie ciliaire primitive (DCP). Leur étude est parue dans la revue spécialisée Frontiers in Molecular Biosciences.
Les cils vibratiles – Cilia ou cils en langage médical – sont des petits bras mobiles situés à la surface de certains cellules de l’organisme. Ces prolongements cellulaires assument des fonctions vitales. Entre autres, ils permettent aux cellules de se déplacer et servent au transport du mucus et des liquides. S’ils ne fonctionnent pas ou ne bougent pas correctement, les conséquences peuvent être graves: infections respiratoires chroniques, infertilité, position inversée des organes (situs inversus) ou encore malformations cardiaques complexes.
Même si ces symptômes se traduisent de manière très diverse, ils font tous partie de la dyskinésie ciliaire primaire (DCP), un trouble génétique rare du mouvement ciliaire, qui concerne entre environ une personne sur 7500 et une personne sur 10 000. Chez les individus atteints, la structure et le fonctionnement des cils sont perturbés. Les défauts génétiques sous-jacents – souvent au niveau du gène DNAH5 – se traduisent par des symptômes caractéristiques mais très variables. Les scientifiques du PSI viennent de réussir à décrypter leur base moléculaire.
La dyskinésie ciliaire primaire (DCP) est une maladie génétique rare qui entraîne un fonctionnement incorrect des cils vibratiles, ces structures mobiles qui occupent la surface de nombreuses cellules. La DCP touche probablement entre une personne sur 7500 et une personne sur 10 000.
Les cils vibratiles sont actifs, notamment, dans les voies respiratoires, l’oreille moyenne, les trompes de Fallope et les spermatozoïdes. Ils servent également au transport. En cas de DCP, soit ils fonctionnent de manière non coordonnée, soit ils ne fonctionnent pas du tout, ce qui entraîne une toux chronique, des infections récurrentes des voies respiratoires supérieures, des otites moyennes avec perte d’audition ou encore une infertilité. Environ la moitié des individus concernés présentent également une position inversée des organes (situs invertus). Si elle n’est pas traitée, la DCP peut entraîner de graves lésions pulmonaires. D’où l’importance d’un diagnostic précoce.
Une nouvelle étude de l’équipe emmenée par Charlotte de Ceuninck, doctorante et première auteure, et Takashi Ishikawa, du Laboratoire de bio-imagerie multi-échelle au Centre des sciences de la vie du PSI, montre que toutes les mutations du gène DNAH5 n’ont pas le même effet. Suivant la localisation précise du défaut dans le gène, le mouvement des cils vibratiles change, mais pas seulement: toute leur architecture interne est affectée elle aussi. Les méthodes diagnostiques conventionnelles n’avaient pas permis jusqu’ici de détecter les différences moléculaires révélées par ces recherches. «Sur le plan moléculaire, ces travaux sont une percée», affirment Charlotte de Ceuninck et Takashi Ishikawa. Leur étude est parue dans la revue spécialisée Frontiers in Molecular Biosciences.
L’anatomie d’un cil vibratile
Les cils vibratiles possèdent une structure strictement ordonnée, appelée axonème. Celui-ci est composé de microtubules ordonnés en neuf doublets. Les microtubules sont des structures protéiques tubulaires, disposées en anneau autour de deux tubules individuels centraux. Cette structure typique en «9+2» forme la base mécanique du mouvement des cils vibratiles.
Le long de cette structure se trouvent des «moteurs» moléculaires, appelés bras de dynéine, qui convertissent l’énergie chimique en mouvement rythmique. La protéine DNAH5 est un composant central du bras de dynéine externe. Si elle vient à manquer, les cils vibratiles restent immobiles, ce qui constitue une caractéristique clé de la DCP.
Jusqu’ici, les scientifiques partaient du principe que toutes les mutation du gène DNAH5 entraînaient une perte uniforme de ce bras de dynéine externe. Mais l’étude actuelle présente un tableau nettement plus différencié: le type de mutation influence non seulement l’absence du bras de dynéine, mais aussi le degré de perturbation de l’ensemble de la structure ciliaire.
Trois patients et un même tableau? Pas tout à fait
Pour leur étude, les scientifiques ont analysé des échantillons cellulaires de trois personnes atteintes de DCP, présentant différentes mutations du gène DNAH5. Les méthodes de diagnostic classiques – dont la vidéomicroscopie à haute vitesse, l'immunofluorescence et la microscopie électronique à transmission –, ont d’abord donné une image uniforme: les cils vibratiles étaient immobiles, le bras de dynéine externe manquait.
Mais certaines méthodes modernes ont fait apparaître un tableau plus différencié. Le recours à la spectroscopie de masse a permis aux scientifiques de déterminer la composition protéique des cils pris isolément. La cryotomographie électronique a également permis une reconstruction tridimensionnelle à haute résolution de leur structure interne. Résultat: la composition interne des cils différait nettement suivant le type de mutation et sa position dans le gène DNAH5.
Cette découverte contredit la conception actuelle selon laquelle toutes les mutations de ce gène provoquent un effet structurel comparable. En lieu et place, il apparaît clairement que le diagnostic de DCP englobe des formes de maladie très différentes sur le plan moléculaire.
Une perte de structure plus importante qu’attendu
Cette étude s’est concentrée sur les bras de dynéine externes. Mais chez certains patients, ce sont les bras de dynéine internes (IDA) qui sont concernés, tout comme le complexe régulateur de la nexine-dynéine (N-DRC), un élément de liaison central qui coordonne le mouvement des cils.
Dans certains cas, il arrive même que certaines parties du système de transport intracellulaire, appelé complexe ITF, soient réduites. Ce complexe est responsable de l’entretien des cils. Un aspect est particulièrement frappant: les mutations avec un arrêt précoce de la lecture dans le gène, appelées troncations, entraînent typiquement une perte plus importante de protéines de l’axonème que les mutations avec un arrêt de lecture plus tardif.
Cela permet la conclusion suivante: la position de la mutation dans le gène influence les structures des cils qui ont perdu leur fonction, même si les symptômes cliniques chez les personnes concernées sont pratiquement identiques. Cela souligne l’importance des analyses moléculaires pour le diagnostic différencié des maladies rares comme la DCP.
Découvertes inattendues: nouveaux composants des cils vibratiles
Hormis les pertes de protéines attendues, les scientifiques ont par ailleurs identifié pour la première fois trois protéines qui jusqu’ici n’étaient pas connues comme composants des cils vibratiles humains: CFAP97, VWA3B et DTHD1. La présence de ces protéines a été démontrée dans des cils sains. Alors qu’elles étaient complètement absentes des échantillons des patients atteints d’une mutation du gène DNAH5.
Le rôle inconnu à ce jour que jouent ces protéines dans la structure ciliaire ou dans le contrôle du mouvement ouvre de nouvelles perspectives, aussi bien en recherche fondamentale que pour des applications cliniques: pour de futures méthodes de diagnostic ou encore pour des traitements qui pourraient remplacer les protéines manquantes à l’aide d’une méthode ANRm, par exemple.
En résumé: un tableau plus complexe de la DCP
Les résultats indiquent que la dyskinésie ciliaire primaire ne saurait être conçue comme un tableau clinique uniforme. «La diversité moléculaire que nous avons observée pourrait expliquer pourquoi les évolutions cliniques et les symptômes varient autant», relève Charlotte de Ceuninck.
A l’avenir, l’identification de ces sous-types – par exemple par des analyses protéomiques à haute résolution où l’on procède à une étude complète de la composition des protéines dans la cellule – et la cryotomographie électronique pourraient ouvrir la voie à un diagnostic précoce. Cela permet d’intervenir à temps sur le plan thérapeutique afin d’arrêter ou de ralentir la progression des lésions pulmonaires, de la perte auditive ou des troubles de la fertilité. «Si nous comprenons mieux les différences moléculaires, nous pourrons non seulement détecter la maladie plus tôt, mais aussi la traiter de manière plus ciblée», ajoute Takashi Ishikawa.
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Publication originale
Proteomic and structural comparison between cilia from primary ciliary dyskinesia patients with a DNAH5 defect
Charlotte de Ceuninck van Capelle, Leo Luo, Alexander Leitner, Stefan A. Tschanz, Philipp Latzin, Sebastian Ott, Tobias Herren, Loretta Müller, Takashi Ishikawa
Frontiers in Molecular Biosciences, 17.07.2025
DOI: 10.3389/fmolb.2025.1593810