Conseil en technologie de pointe

Stephanie Smit, ancienne doctorante au PSI, travaille comme ingénieur-conseil en propriété industrielle pour une société qui compte parmi les plus importantes au monde. Celle-ci construit en effet des machines qui valent une fortune et sont très recherchées.

Stephanie Smit a obtenu son doctorat à la Swiss Light Source de l’Institut Paul Scherrer PSI. Aujourd'hui, chez ASML, elle veille à ce que certaines des machines les plus modernes au monde pour la fabrication de puces soient protégées par des brevets. © Henning Mack

Une entreprise importante n’est pas forcément connue du grand public. Dans le classement des sociétés les plus valorisées au monde, Apple et Microsoft caracolent en tête avec chacune une valeur de marché de 3000 milliards de dollars. Mais les affaires de ces deux grands groupes de la high-tech dépendent, pour le meilleur et pour le pire, d’une entreprise qui a son siège dans la paisible ville de Veldhoven, aux Pays-Bas, et où travaille, depuis cinq ans maintenant, Stephanie Smit, ancienne doctorante du PSI. La société ne figure pas parmi les plus chères du monde, mais avec une valeur de marché de 250 milliards de dollars, elle fait partie du top five en Europe. Pourtant, étonnamment, la plupart des gens ignorent son existence. 

ASML? «Honnêtement, lorsque je me suis présentée à ce poste, je n’en avais jamais entendu parler non plus», avoue Stephanie Smit. ASML, coentreprise de Philips et d’ASM International, a été fondée en 1984 et a récemment connu une forte croissance: depuis 2019, son chiffre d’affaires a doublé pour atteindre 28 milliards de dollars par an et son bénéfice a plus que triplé pour s’élever à 8 milliards de dollars par an. ASML compte plus de 43 000 collaboratrices et collaborateurs dans le monde, dont 23 000 travaillent au siège. 

Si presque personne ne connaît cette société, c’est parce qu’elle ne produit pas pour le consommateur final. Ses clients sont les grands fabricants de micropuces c omme Intel, Samsung et TSMC, qui fournissent à leur tour les entreprises de la tech comme Microsoft et Apple. ASML fabrique en effet des machines qui permettent d’«imprimer» des parties essentielles des micropuces via un procédé de photolithographie. Et les micropuces sont plus emandées que jamais, car elles équipent les ordinateurs, les téléphones mobiles, les tablettes et tous les appareils intelligents. Elles sont l’élément de base du monde numérique moderne. 

ASML est le leader mondial du secteur des machines de photolithographie. «ASML est le groupe dont le monde dépend», titrait le journal autrichien Der Standard en 2023. Dans cette société, Stephanie Smit veille en tant qu’ingénieur-conseil à ce que les nouvelles idées et technologies soient juridiquement protégées. Mais comment une ancienne chercheuse du PSI, spécialisée dans la nanofabrication, est-elle devenue conseil n brevets? 

Un ingénieur-conseil n’est pas forcément juriste 

«Il existe un malentendu très répandu, selon lequel les conseils en brevets sont des juristes», explique Stephanie Smit. Il faut s’y connaître en droit des brevets, évidemment. Mais le contexte scientifique est tout aussi important, car la fonction exige de comprendre la recherche et la technologie qui sont derrière les produits et de traduire l’innovation en langage juridique. «Et, pour cela, mes études de physique, mais surtout mon travail au PSI représentaient la meilleure réparation possible», souligne Stephanie Smit. 

Stephanie Smit a grandi en Ecosse, dans l’archipel des Shetland, et fait ses études à Aberdeen. «Mon père m’a transmis, dès l’enfance, sa passion pour la physique et la technique», raconte-t-elle. Ce pilote amateur émérite a su communiquer à sa fille sa fascination pour l’aéronautique. «J’ai passé mon brevet de pilote, dit-elle. Mais j’ai ensuite choisi quelque chose de plus terre à terre et suivi des études de physique.» 

Stephanie Smit nourrissait en même temps un intérêt pour les langues et les cultures. Une fois son iplôme de premier cycle en poche, elle est partie un an à Cracovie pour s’immerger dans la culture polonaise. Hormis l’anglais et un peu de polonais, elle maîtrise aujourd’hui le français, l’allemand et le néerlandais. Pour son travail de conseil en brevets européens, cette aisance internationale, associée à son caractère ouvert et communicatif, représente un avantage indéniable. Après tout, elle doit échanger avec des spécialistes de différents pays en vue de protéger les brevets. 

Après son diplôme, l’année passée à Cracovie l’a incitée à faire un stage à l’étranger. «J’ai posé ma candidature auprès de l’organisation IAESTE, qui prodiguedes stages techniques et scientifiques à l’étranger, y compris au Japon et au Canada, raconte-t-elle. Mais le PSI était mon premier choix, car on y mène de la recherche en étant en première ligne.» Ainsi, il lui a été proposé de collaborer de façon concrète sur un sujet complexe: l’imagerie ptychographique, qui consiste à balayer un échantillon avec un faisceau de particules et à l’observer au microscope. On attendait de Stephanie Smit qu’elle construise de manière autonome une configuration laser spéciale. «J’en savais très peu sur le sujet par mes études, dit-elle. Mais mes collègues m’ont beaucoup soutenue.» 

Il s’est révélé passionnant de participer à cette démarche de recherche complètement nouvelle. A côté du travail, elle a apprécié ce premier séjour en Suisse, où elle a fait beaucoup d’activités avec d’autres stagiaires et étudiants. Elle y a notamment rencontré son mari, originaire des Pays-Bas et également en stage au PSI. 

Il n’y a pas si loin de la recherche high-tech à l’industrie high-tech.

Stephanie Smit, conseil en brevets chez ASML

Promotion à la Source de Lumière Suisse 

Après avoir tous deux obtenu leur master à Aberdeen, ils sont revenus au PSI pour leur doctorat. Stephanie Smit a alors travaillé au Laboratoire de microtechnologie et nanotechnologie, où elle étudiait les structures magnétiques d’échantillons à l’aide de la Source de Lumière Suisse SLS. «Je suis très contente de ce que j’ai appris au PSI, dit-elle. Cela m’aide aujourd’hui dans mon travail. Mais surtout, j’y ai connu de nombreuses personnes formidables et brillantes, avec lesquelles je suis toujours en contact.» 

C’est l’une de ses collègues qui lui a suggéré de devenir conseil en brevets: «Elle disait que, me connaissant, cela me plairait, raconte-t-elle. Il a d’abord fallu que je m’informe. Mais c’est un fait: ce travail correspond précisément à mes intérêts.» Après son doctorat, Stephanie Smit a suivi des études postuniversitaires dans le domaine des brevets à l’Université Queen Mary, à Londres, et travaillé pour un cabinet de conseil en brevets. «Mais l’atmosphère internationale de la recherche et le lien avec la technologie me manquaient, dit-elle. De plus, mon mari et moi-même avions eu entre-temps deux de nos trois enfants et nous voulions les élever aux Pays-Bas.» 

Lorsqu’elle a appris qu’ASML cherchait un conseil en brevets, elle y a vu une opportunité. «Et, effectivement, lors de l’entretien d’embauche, nous avons tout de suite senti que les choses s’emboîtaient bien, notamment en raison de mon passé au PSI: il n’y a pas si loin de la recherche high-tech à l’industrie high-tech.» 

Au sujet des machines de son employeur, Stephanie Smit déclare: «Les toutes dernières installations de photolithographie font probablement partie des machines les plus complexes que l’humanité ait jamais inventées.» Elles sont grandes comme une maison et bourrées de technique laser et d’éléments optiques. 

Grosso modo, la photolithographie fonctionne de la manière suivante: de la lumière fortement concentrée est projetée à travers un masque sur une plaque de silicium – appelée «wafer» – de quelques millimètres d’épaisseur. Ce faisant, une couche de résine photosensible – appelée «photoresist» – est fixée en de minuscules structures, pendant que le reste de la couche non exposé est éliminé avec précision. Ou inversement. La procédure se répète plusieurs fois et, pour finir, on obtient un wafer apparemment lisse, sur lequel de petits transistors microscopiques sont disposés en rangs serrés. C’est au moyen de ces commutateurs que la micropuce électronique traite les charges de travail de calcul. 

Une question de longueur d’onde 

Les machines de photolithographie utilisent la lumière ultraviolette (UV), car sa faible longueur d’onde permet des marquages plus précis que la lumière visible. La densité des transistors détermine la puissance de la micropuce. ASML a débuté avec 2200 transistors par millimètre carré. Aujourd’hui, la même surface minuscule en héberge 45 millions. 

Les appareils modernes travaillent avec ce qu’on appelle le «deep ultraviolet» (DUV), c’est-à-dire des V profonds, le plus souvent d’une longueur d’onde  de 193 nanomètres. ASML possède une part d’environ 85 % du marché mondial de ces machines. Mais c’est le seul fournisseur au monde à proposer depuis peu des systèmes EUV (ultraviolet extrême), d’une longueur d’onde de 13,5 nanomètres seulement, ce qui permet de réaliser des puces encore plus puissantes. 

ASML a livré sa première machine EUV à Intel début 2024. Selon l’agence de presse Reuters, pour un prix d’environ 350 millions de dollars. Mais les variantes DUV ne sont guère meilleur marché. Il n’est donc pas étonnant qu’ASML gagne bien en écoulant seulement quelques centaines de ces engins par an. Et rien d’étonnant à ce que les personnes privées soient rarement en contact avec ceux-ci et qu’ASML ne soit pas aussi connue que Microsoft ou Apple. 

Nulle surprise donc si Stephanie Smit trouve passionnant de négocier les brevets d’un tel fabricant: ASML en détient plus de 21 000 au total, au sujet de toutes sortes de pièces et de mécanismes de machines. «Cela fait maintenant cinq ans et je suis encore vivement impressionnée de travailler pour une entreprise dont dépendent tant de choses, déclare Stephanie Smit.  ais ce qui me plaît tout particulièrement ici, ce sont mes collègues. Ils sont aussi formidables que ceux du PSI!»