Première: visualiser la glace dans les piles à combustible

A l’aide d’une méthode novatrice, des chercheurs de l’Institut Paul Scherrer (PSI) ont réussi une première : visualiser directement la répartition de la glace et de l’eau liquide dans une pile à combustible à hydrogène. Pour distinguer de manière très fiable les zones où se trouve de l’eau liquide de celles où se trouve de la glace, cette nouvelle technique d’imagerie utilise successivement deux faisceaux de neutrons, dotés chacun d’une énergie différente. La méthode ouvre ainsi une perspective : la possibilité d’analyser l’un des principaux problèmes lié à l’utilisation de piles à combustible pour la propulsion de véhicules. La glace peut en effet boucher les pores dans les piles, et ainsi entraver leur fonctionnement. Les scientifiques du PSI ont publié leurs résultats le 16 juin 2014, dans la revue «Physical Review Letters».

Les chercheurs Pierre Boillat et Johannes Biesdorf dans une expérience dans laquelle ils ont lancé une pile à combustible sans préchauffage à des températures en dessous de zéro degrés Celsius.Photo: Institut Paul Scherrer/Mahir Dzambegovic.
La répartition spatiale de la glace et de l'eau dans une colonne d'eau cylindrique, telle que mesurée dans la présente étude avec la nouvelle technique d'imagerie neutronique. Rouge signifie: seulement la glace présente, violet: seulement de l'eau liquide. Source: American Physical Society.
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Les piles à combustible à hydrogène ont le potentiel de rendre la mobilité individuelle de l’avenir plus écologique. Dans ces piles, l’hydrogène qui sert de «combustible» réagit électrochimiquement avec l’oxygène, ce qui produit du courant électrique. Seuls sous-produits : de la chaleur et de l’eau. Mais dans la pratique, l’eau peut précisément représenter un problème pour la propulsion à pile à combustible. Dans les zones climatiques froides, elle peut en effet geler lorsque la propulsion est coupée, et entraver le fonctionnement des piles. De nouveaux travaux, menés par des chercheurs du PSI, permettent pour la première fois de visualiser directement la répartition de la glace et de l’eau dans une pile à combustible. Ce qui ouvre une nouvelle possibilité pour mieux analyser le problème de la formation de glace et optimiser sa solution.

Le problème de la formation de glace

La glace est susceptible de former des dépôts dans les structures poreuses d’une pile à combustible. Elle perturbe le fonctionnement de la pile en bouchant les pores au travers desquels l’oxygène est acheminé vers la cathode (électrode positive). Or si l’oxygène n’atteint pas la cathode, les réactions chimiques, par le biais desquelles la pile génère du courant, ne peuvent plus se produire. En conséquence de quoi, la tension de la pile s’effondre, et cette dernière ne produit plus de courant. La structure poreuse de l’électrode sert aussi à permettre à l’eau de s’écouler hors de la pile à combustible. L’eau liquide qui reste après utilisation peut geler pendant la nuit, par exemple. Or, comme le volume de la glace est plus important que celui de l’eau, la formation de glace est susceptible d’infliger des dégâts mécaniques aux composants de la pile.

Deux poids deux mesures

L’imagerie neutronique de l’eau exploite le fait que les atomes d’hydrogène diffusent (dévient) fortement les neutrons. L’intensité d’un faisceau de neutrons s’atténue donc considérablement lorsque ce dernier traverse un milieu riche en hydrogène. Dans le cas de la nouvelle technique, baptisée « dual spectrum neutron radiography », l’ampleur de cette atténuation dépend de l’énergie cinétique des molécules d’eau. Lorsque l’eau est gelée, et donc à l’état solide, cette énergie cinétique est beaucoup moins importante que lorsque l’eau est à l’état liquide. C’est cela qui permet de distinguer l’eau liquide de la glace. Si l’on voulait distinguer eau et glace dans le cadre d’une expérience avec des neutrons conventionnelle, il faudrait connaître à l’avance l’épaisseur de la couche d’eau étudiée. Or, en règle générale, c’est impossible dans les piles à combustible ; les chercheurs ont cependant trouvé une issue, en utilisant deux faisceaux de neutrons pour mesurer leurs échantillons.

Avec cette nouvelle technique d’imagerie, on compare successivement l’atténuation que les molécules d’eau font subir à deux faisceaux de neutrons, dotés chacun d’une énergie différente. L’un de ces faisceaux a été filtré et ne contient plus que des neutrons à basse énergie. Le second, en revanche, a été laissé dans son état d’origine, avec l’ensemble de son spectre énergétique. Le rapport d’atténuation des deux faisceaux permet de déduire les parts d’eau liquide et de glace contenues par la pile, sans qu’il soit nécessaire de connaître à l’avance l’épaisseur de la couche d’eau. Le rapport entre les atténuations dépend effectivement uniquement de l’ampleur de la diffusion des neutrons dans l’eau liquide et la glace. La comparaison des mesures du faisceau neutronique filtré et du faisceau neutronique non filtré permet donc de déterminer chaque fois l’état d’agrégation de l’eau.

Preuve de la présence d’eau en surfusion

Les mesures, effectuées à la ligne de mesure ICON de la source de neutrons SINQ du PSI, n’ont pas seulement permis aux chercheurs de cartographier la répartition de l’eau et de la glace dans une pile à combustible. Grâce à elles, ils ont aussi réussi à apporter la preuve directe de l’exactitude d’une présomption ancienne concernant le comportement de l’eau dans les piles à combustible. On suppose en effet depuis longtemps que, dans les piles à combustible, l’eau peut être présente en état de surfusion. La surfusion signifie que l’eau ne gèle pas, même en dessous de 0°C. La visualisation directe a permis aux auteurs de la nouvelle étude de montrer que de l’eau liquide subsistait dans la pile, à des températures pouvant aller jusqu’à moins 7,5°C. « La preuve de la présence d’eau en surfusion dans les piles à combustible ne revêt pas seulement une importance théorique, explique Thomas Justus Schmidt, directeur du Laboratoire d’électrochimie et co-auteur de l’étude. Pour l’application pratique, aussi, il est utile que nous sachions qu’en termes de température, il existe une marge, dans les limites de laquelle il n’est pas nécessaire de se préoccuper de la formation de glace. »

Texte: Institut Paul Scherrer/Leonid Leiva


À propos du PSI

L’Institut Paul Scherrer PSI développe, construit et exploite des grandes installations de recherche complexes et les met à la disposition de la communauté scientifique nationale et internationale. Les domaines de recherche de l’institut sont centrés sur la matière et les matériaux, l’énergie et l’environnement ainsi que la santé humaine. La formation des générations futures est un souci central du PSI. Pour cette raison, environ un quart de nos collaborateurs sont des postdocs, des doctorants ou des apprentis. Au total, le PSI emploie 1900 personnes, étant ainsi le plus grand institut de recherche de Suisse. Le budget annuel est d’environ CHF 350 millions.

Contact
Prof. Dr. Thomas Justus Schmidt, directeur du Laboratoire d’électrochimie,
Institut Paul Scherrer, 5232 Villigen PSI, Suisse,
Téléphone: +41 56 310 2457; E-mail: thomasjustus.schmidt@psi.ch

Eberhard H. Lehmann, directeur du groupe de recherche NIAG (Neutron and Imaging Activation Group),
laboratoire Diffusion neutronique et imagerie, Institut Paul Scherrer, 5232 Villigen PSI, Suisse,
Téléphone: +41 56 310 2963; E-mail: eberhard.lehmann@psi.ch

Pierre Boillat, chef de projet « Imagerie Neutronique des Piles à Combustibles »,
Institut Paul Scherrer, 5232 Villigen PSI, Suisse,
Téléphone: +41 56 310 2743; E-mail: pierre.boillat@psi.ch
Publication originale
Dual spectrum neutron radiography: Identification of phase transitions between frozen and liquid water
J. Biesdorf, P. Oberholzer, F. Bernauer, A. Kaestner, P. Vontobel, E. H. Lehmann, T. J. Schmidt und P. Boillat,
Physical Review Letters, accepted paper.
Informations supplémentaires
Laboratoire d’électrochimie

Laboratoire Diffusion neutronique et imagerie