«Objectiver le débat sur l’énergie»

Le débat sur l’énergie a besoin de plus de faits et de moins d’intuition – c’est ce que plaident Thomas J. Schmidt, chef de la division de recherche Energie et environnement, et Andreas Pautz, chef de la division de recherche Energie nucléaire et sûreté. Dans cet entretien, ils expliquent quelles sont les tâches que la recherche scientifique doit accomplir dans le cadre de la Stratégie énergétique 2050 et pourquoi les experts en énergie nucléaire et les spécialistes des énergies renouvelables devraient collaborer étroitement.

Thomas J. Schmidt (à gauche), spécialiste des énergies renouvelables, et Andreas Pautz, expert en énergie nucléaire
(Photo: Institut Paul Scherrer/Mahir Dzambegovic)
Sur la plateforme ESI, où l’on étudie conjointement les énergies renouvelables dans leur interaction complexe: Andreas Pautz (à gauche), chef de la division de recherche Energie nucléaire et Sûreté, et Thomas J. Schmidt, chef de la division de recherche Energie et Environnement.
(Photo: Institut Paul Scherrer/Mahir Dzambegovic)
«Nous devons garder à l’esprit les délais dans lesquels une technologie est potentiellement remplacée par une autre.» Thomas J. Schmidt, chef de la division de recherche Energie et Environnement.
(Photo: Institut Paul Scherrer/Mahir Dzambegovic)
«En termes de technologie nucléaire, la Suisse doit pouvoir continuer à avoir son mot à dire et à disposer d’un savoir-faire approfondi.» Andreas Pautz, chef de la division de recherche Energie nucléaire et Sûreté
(Photo: Institut Paul Scherrer/Mahir Dzambegovic)
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Thomas J. Schmidt, vous dirigez au PSI la division de recherche Energie et environnement, et vous, Andreas Pautz, vous êtes à la tête de la division de recherche Energie nucléaire et sûreté. En quoi vos recherches diffèrent-elles et quels sont leurs points communs?

Thomas J. Schmidt: La division de recherche Energie et environnement étudie la production d’énergie issue de sources renouvelables, sa conversion, son stockage, ainsi que les questions des conséquences sur l’environnement et l’atmosphère de l’utilisation de l’énergie par l’être humain. Mais nous ne nous occupons pas de l’énergie nucléaire.

Andreas Pautz: C’est notre domaine de spécialité. Le point commun de nos deux divisions de recherche réside dans le fait que nous travaillons dans le contexte de la Stratégie énergétique 2050 de la Suisse. Nous avons, dans les deux domaines, des tâches importantes à accomplir lors de cette phase de transition: la division Energie et environnement du côté des énergies renouvelables et nous sur la question de l’exploitation sûre des centrales nucléaires en Suisse jusqu’en 2040 – voire peut-être bien au-delà – et enfin celle de la gestion des déchets radioactifs. Nous y contribuons avec un maximum de sécurité et de manière à laisser le moins de résidus toxiques à la postérité.

Est-ce que cela signifie que vous ne vous considérez pas comme des adversaires qui représentent des sources d’énergie différentes?

Thomas J. Schmidt: Non. Nous collaborons étroitement et, ce faisant, nous devons garder à l’esprit les délais dans lesquels une technologie est potentiellement remplacée par une autre.

Andreas Pautz: C’est juste. Ce dont il est question, c’est d’une synergie optimale, dont le but est d’éviter autant que possible de polluer l’environnement, mais aussi de réduire les coûts. Nous envisageons cela d’un point de vue scientifique; nous ne menons pas une discussion politique. Lorsque la décision a été prise de ne pas limiter la durée d’exploitation des centrales nucléaires existantes, celles-ci sont devenues partie intégrante de la Stratégie énergétique. Il n’y a d’ailleurs, en Suisse, aucun autre site que le PSI où l’on mène autant de recherche sur l’énergie, c’est-à-dire avec autant de collaborateurs dans un environnement aussi rapproché.

Travaillez-vous aussi sur des projets communs?

Andreas Pautz: Certainement, par exemple sur le projet SURE. Nous y étudions comment mettre en place un approvisionnement énergétique sûr et résilient pour la Suisse au cours des prochaines années. Cela implique beaucoup plus d’aspects que la seule réduction du CO2: par exemple la sécurité d’approvisionnement, la stabilité du réseau, la défense contre des menaces externes et internes. Par ailleurs, nous collaborons au zéro net, c’est-à-dire au développement de technologies et de modélisations pour une société qui, au total, n’émet plus de gaz à effet de serre. Dans ce contexte, nous dirigerons et coordonnerons dès l’automne 2022 un centre de compétence du domaine des EPF.

Thomas J. Schmidt: Nous menons cette recherche dans un laboratoire commun, au PSI, le Laboratoire d’analyse des systèmes énergétiques, qui est spécialisé dans ces approches holistiques du système énergétique. Transports, industrie, ménages, production d’électricité: tout y est pris en compte. Il existe en outre toute une série de domaines thématiques dans lesquels des synergies peuvent être créées. Par exemple, certains aspects des matériaux, la formation et la propagation des aérosols, les processus d’écoulement dans les milieux poreux, les méthodes d’élimination et de recyclage, et bien d’autres encore.

Les débats sur le tournant énergétique et sur la manière dont nous voulons le réaliser ont-ils besoin de plus d’objectivité scientifique?

Andreas Pautz: Objectiver le débat sur l’énergie serait extrêmement utile. Il faudrait juste peser les choses de manière intelligente, en se fondant sur les nouveaux faits dont nous disposons: les conséquences de plus en plus visibles du changement climatique et la vitesse insuffisante à laquelle les énergies renouvelables et les technologies de stockage se développent. Le conflit armé en Ukraine, qui nous rappelle notre dépendance vis-à-vis des énergies fossiles, a placé la question de la sécurité d’approvisionnement au centre de l’attention. Au vu de ces nouvelles réalités, je plaide pour un débat ouvert sur les technologies, d’où aucune forme d’énergie ne devrait être exclue, pas même l’énergie nucléaire. Il faut réussir à élaborer un processus de pensée basé sur l’évaluation.

Thomas J. Schmidt: Cela montre aussi l’importance de l’approche holistique, qui est la nôtre au PSI, pour comprendre le système énergétique dans son ensemble. Dans le monde, les endroits où l’on applique cette démarche ne sont pas nombreux.

Avez-vous des difficultés à trouver de la relève dans votre domaine?

Thomas J. Schmidt: Non. Le fait que nous soyons très bien positionnés au niveau international nous aide. Les gens qui travaillent à la division de recherche Energie et environnement sont originaires de quelque 45 nations.

Andreas Pautz: Je peux également le confirmer pour ma division de recherche; nous jouissons d’une excellente réputation à l’international et, de ce fait, la demande est suffisante. Conjointement avec l’EPFL et l’ETH Zurich, nous proposons par exemple le programme de master en Génie nucléaire. Chaque année, quinze nouveaux étudiants en moyenne l’entament et la tendance est à la hausse. Cette année, nous en avons même 25. Un fait nous réjouit beaucoup: ces trois dernières années, il y a eu davantage de Suissesses et de Suisses qui ont opté pour une formation dans le secteur nucléaire. Cela montre que, sur le plan international, l’énergie nucléaire n’est pas un modèle en voie de disparition et que ce sujet touche aussi les jeunes en Suisse.

Est-ce qu’on vous fait souvent ce reproche: «La Suisse veut abandonner l’énergie nucléaire, alors pourquoi le PSI mène-t-il encore de la recherche dans ce domaine?»

Andreas Pautz: Pratiquement pas. Personne ne conteste la nécessité de disposer d’experts pour les 25 prochaines années au moins, ne serait-ce que pour la problématique de la gestion des déchets. Sur le plan politique, aujourd’hui, plus personne pratiquement ne remet en question la nécessité de maintenir des compétences nucléaires en Suisse. En termes de technologie nucléaire, la Suisse doit pouvoir continuer à avoir son mot à dire et à disposer d’un savoir-faire approfondi. Mais cela ne sera possible que si l’on continue à mener de la recherche sur des questions importantes de sécurité nucléaire et sur les aspects de durabilité de cette forme d’énergie.

Qu’est-ce qui a changé dans vos divisions de recherche respectives au cours des dernières années et qu’escomptez-vous pour l’avenir?

Thomas J. Schmidt: Nous avons notamment réduit nos activités dans le domaine de la recherche sur la combustion. Certes, c’est un sujet important, mais il ne s’inscrit plus dans une perspective d’avenir. En contrepartie, nous avons intégré d’autres thématiques comme la production d’hydrogène. La question de l’impact de la consommation d’énergie sur notre environnement a gagné en importance, elle aussi. Lorsqu’il s’agit par exemple de connaître l’influence des aérosols sur l’atmosphère et la santé humaine.

Andreas Pautz: Chez nous, l’exploitation à long terme des centrales nucléaires est à l’agenda, de même que les dépôts en couches géologiques profondes et le démantèlement des centrales. Depuis qu’il est clair que la Suisse va abandonner l’énergie nucléaire, nous avons stoppé les activités qui auraient été nécessaires pour la construction de nouvelles centrales, comme le développement de nouveaux combustibles. Désormais, nous observons seulement à la marge les analyses de nouveaux systèmes de sécurité. Ce que j’aimerais faire avancer à l’avenir, c’est une internationalisation accrue des coopérations de l’industrie et de la recherche. Nous voulons continuer à tirer parti du rayonnement international dont jouit le PSI dans le domaine de la recherche sur l’énergie nucléaire.

Interview: Brigitte Osterath

Contact

Prof. Andreas Pautz
Chef de la division de recherche Energie nucléaire et Sûreté

Institut Paul Scherrer, Forschungsstrasse 111, 5232 Villigen PSI, Suisse
Téléphone: +41 56 310 34 97, e-mail: andreas.pautz@psi.ch

Prof. Thomas Justus Schmidt
Chef de la division de recherche Energie et Environnement
Institut Paul Scherrer, Forschungsstrasse 111, 5232 Villigen PSI, Suisse
Téléphone: +41 56 310 57 65, e-mail: thomasjustus.schmidt@psi.ch

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