Double upgrade pour l’accélérateur de protons
HIPA, l’accélérateur de protons du PSI, doit recevoir deux améliorations entre 2025 et 2028. Le Conseil des EPF vient de proposer le plan correspondant comme candidat à la prochaine Feuille de route suisse pour les infrastructures de recherche. Les préparatifs pour cette double mise à niveau sont déjà en cours.
(Illustration: Institut Paul Scherrer/Mahir Dzambegovic)
L’accélérateur de protons HIPA, mis en service en 1974, est une installation aussi prestigieuse qu'ancienne. HIPA est l’acronyme de Intensity Proton Accelerator. Grâce à des perfectionnements continues, l’installation fournit à l’heure actuelle l’un des faisceaux de protons les plus puissants du monde de 1,4 mégawatt.
Entre 2025 et 2028, HIPA doit bénéficier d’un double upgrade. «Isotope and Muon Production using Advanced Cyclotron and Target Technology», en abrégé IMPACT, se compose de deux parties. Lors de la première, baptisée High-Intensity Muon Beams ou HIMB, il est prévu de réaménager une partie de l’installation. L’objectif de HIMB est de multiplier par 100 les particules élémentaires spéciales obtenues ici, appelées muons, pour atteindre jusqu’à 10 milliards de muons par seconde.
Deuxièmement, le PSI veut à l’avenir contribuer encore davantage au traitement personnalisé du cancer. Pour ce faire, une installation de production de radionucléides est en cours de construction à un autre endroit de l’installation HIPA: Targeted Alpha Tumor Therapy and Other Oncological Solutions ou TATTOOS.
Le Conseil des EPF vient de proposer officiellement ce projet comme candidat à la Feuille de route suisse pour les infrastructures de recherche 2023. IMPACT est un projet commun du PSI, de l'Université de Zurich et de l'Hôpital universitaire de Zurich.
Parmi les autres projets du domaine des EPF proposés pour la Feuille de route, le PSI est encore impliqué dans deux autres: "EM-Frontiers" qui vise à faire progresser les méthodes de microscopie électronique, ainsi que "SDSC+", qui doit permettre d'étendre le Swiss Data Science Center à une infrastructure numérique nationale décentralisée.
Du côté du PSI, Klaus Kirch et Roger Schibli sont les principaux responsables d'IMPACT. Klaus Kirch est le responsable du laboratoire de physique des particules du PSI. Il répond à la question de savoir pourquoi HIMB va améliorer notre compréhension de l'univers.
Quant à Roger Schibli, le responsable du Centre des sciences radiopharmaceutiques au PSI, explique l’importance de TATTOOS pour l’avenir du traitement des tumeurs.
Interview de Klaus Kirch
«Un joyau dont il faut prendre soin»
Klaus Kirch, l’installation de muons du PSI est numéro 1 dans le monde. Pourquoi doit-elle donc faire l’objet d’une révision?
Klaus Kirch: Il est vrai que notre accélérateur de protons HIPA est unique au monde et inégalé. Pour la production de muons, nous sommes clairement tout devant. Ce que nous planifions à présent en collaboration avec l'université de Zurich est un développement moderne de la recherche qui peut y être conduite. Ainsi, nous pourrons rester à la pointe au niveau mondial les 20 prochaines années également.
Cela en fait des superlatifs.
Absolument. HIPA est un joyaux dont il faut prendre soin. Nous sommes gâtés: l’installation fonctionne si bien. Mais certains de ses composants ont 45 ans d’âge. Nous sommes donc aussi dans un chantier perpétuel pour conserver la valeur immense de l’installation.
Pouvez-vous nous décrire les expériences qui sont concrètement menées avec des muons?
D’un côté, nous nous servons des muons pour étudier la physique des particules. A travers ces minuscules particules, il s’agit de répondre aux toutes grandes questions fondamentales: quelles sont les propriétés exactes des éléments constitutifs de la matière, par exemple du proton qui fait partie des noyaux atomique? Selon quelles lois l’univers fonctionne-t-il? Nous menons une recherche fondamentale à la pointe de ce que l’on peut connaître aujourd’hui. Et nous travaillons avec une technologie de pointe absolue, ce qui nous rend très attrayants pour les jeunes chercheurs.
Qu’entendez-vous par technologie de pointe?
En ce moment, nous développons notamment la prochaine génération de détecteurs à pixels minces qui ont une résolution temporelle sans précédent de l’ordre de la picoseconde. En physique des particules, les exigences sont incroyablement élevées et les systèmes nécessaires ne sont pas disponibles dans le commerce. De fait, nous développons et nous construisons nous-mêmes ces appareils, sans lesquels nous ne ferions pas de progrès dans notre recherche. Ce faisant, nous définissons par la même des standards complètement nouveaux. Nombre de choses que nous avons développées avec succès en physique des particules se retrouvent par la suite en version plus simple et plus robuste dans d’autres domaines de recherche, comme des détecteurs ou des systèmes électroniques spéciaux.
Vous avez dit que la physique des particules était l’une des parties de la recherche avec les muons. Quelle est l’autre?
Outre la physique des particules, les chercheurs du PSI utilisent également les muons pour des expériences en sciences des matériaux. Depuis 1989 déjà, le PSI exploite une installation pour la rotation de spin des muons. Cette méthode consiste à placer un muon dans le matériau de l’échantillon, puis à attendre qu’il se désintègre au terme de 2 millionièmes de seconde, et enfin à mesurer le produit de cette désintégration. On peut ainsi mesurer certaines propriétés locales du matériau qu’aucune autre méthode ne fournit. Aujourd’hui, nous envoyons en règle générale seulement un muon après l’autre dans le matériau. Mais dans le fil de la mise à niveau, nous voulons pouvoir suivre la trace des particules de désintégration et remonter ainsi à leur lieu d’origine. Si nous y arrivons, nous n’aurons plus besoin d’attendre chaque muon. Cela reviendra à transformer une route à une voie en autoroute à douze voies. Voire à cent! Des mesures d’un tout autre ordre seront alors possibles. Nous pourrions mesurer simultanément différents domaines de l’échantillon. Ou mesurer conjointement deux échantillons différents, mais à la même température, à la même pression et ainsi de suite.
Pourquoi la mise à niveau intervient-elle précisément maintenant?
Nous sommes arrivés aujourd’hui à un point où nous en avons besoin et où nous avons les compétences nécessaires. Avant, nous n’aurions pas pu gérer des intensités de particules aussi élevées. Nous n’avions ni les détecteurs nécessaires, ni la technologie pour traitre les données. Les expériences génèrent en effet d’énormes quantités de données de mesure. C’est intéressant également pour la nouvelle division de recherche Calcul scientifique, théorie et données, créée ici, au PSI, en juin 2021. Et puis, c’est très beau à voir: les chercheurs dans ces différents domaines peuvent beaucoup apprendre et profiter les uns des autres.
Interview de Roger Schibli
Des radionucléides pour une médecine personnalisée
Roger Schibli, le PSI est connu pour ses grandes installations de recherche. On peut être surpris de découvrir qu’on y fabrique également des médicaments pour le traitement des tumeurs, appelés médicaments radiopharmaceutiques. Quel est le rapport entre toutes ces activités?
Roger Schibli: Les médicaments radiopharmaceutique dont l’usage médical est établi sont fraîchement fabriqués chaque jour dans les hôpitaux ou par des opérateurs commerciaux. Au PSI, en revanche, nous produisons de nouveaux principes actifs expérimentaux. Il s’agit de médicaments qui portent des isotopes radioactifs appelés radionucléides. A l’avenir, notre objectif, au PSI, est d’utiliser beaucoup de protons à haute énergie de HIPA pour produire nos radionucléides. Cela ouvre des voies de production pour de nouveaux radionucléides jamais étudiés auparavant, et qui n’ont pas d’équivalent en termes de quantité et de qualité.
En matière de radionucléides, où en sont les choses pour le traitement du cancer?
L’idée de traiter des tumeurs avec des radionucléides remonte aux années 1950. Le produit de fission radioactif iode-131 était connu depuis la découverte de la fission nucléaire de l’uranium; le fait que l’iodure migre de manière sélective dans la glande thyroïde a permis le développement de l’une des meilleures formes de traitement du cancer de la thyroïde. Au cours de dix, quinze dernières années, on a compris que d’autres radionucléides pouvaient être utilisés pour le traitement de ce qu’on appelle les tumeurs neuroendocrines, autrement dit des tumeurs cancéreuses des tissus glandulaires produisant des hormones. Et l’on a développé – entre autres à l’Université de Bâle – la chimie qui permet de lier l’isotope aux molécules porteuses qui, à leur tour, s’arriment aux cellules cancéreuses.
Et maintenant?
Les cinq dernières années ont vu un véritable boom dans le domaine des médicaments radiopharmaceutiques. On cherche à présent des radionucléides sur mesure. Prenons un exemple simple: si vous traitez une personne atteinte de très petites métastases, il vous faut un autre radionucléide qu’en cas de grosses métastases.
Il s’agit toujours de métastases?
Oui. Il vaut mieux opérer une tumeur cancéreuse unique, qui est généralement la tumeur primaire. Les médicaments radiopharmaceutiques entre en ligne de compte lorsqu’opérer n’est plus une option et que la chimiothérapie a échoué. Autrement dit pour les cas où, pendant longtemps, il n’y avait plus d’espoir. C’est pour ces personnes que nous voulons développer des théranostics.
Que signifie théranostique?
La théranostique décrit la combinaison du traitement et du diagnostic. Il s’agit du nouveau standard en sciences radiopharmaceutiques: dans le meilleur des cas, le radionucléide diagnostique et le radionucléide thérapeutique font partie du même élément, autrement dit du même type d’atome. De ce fait, ils se comportent de manière similaire dans l’organisme. Ainsi, lors du diagnostic, il est non seulement possible de localiser les métastases, mais nous pouvons également prédire quelle métastase absorbera une grande quantité du produit thérapeutique et quelle métastase n'en absorbera pas encore assez. On peut alors réagir en conséquence et c’est précisément cela que l’on entend lorsqu’on parle de traitement personnalisé.
Que comprend l‘upgrade prévu TATTOOS?
TATTOOS sera une installation complètement nouvelle et unique au monde que nous construisons en collaboration avec l'Université de Zurich et l'Hôpital universitaire de Zurich. Ici, au PSI, l'installation comprendra une nouvelle ligne de faisceau de protons ainsi que de nouvelles cibles, un séparateur de masse et de nouveaux laboratoires de radiochimie. Les cibles sont de nombreux disques métalliques fins montés les uns derrière les autres. Lorsque des protons à haute énergie percutent ces disques, cela produit une multitude de radionucléides. Et les disques deviennent très chauds, à plus de 2000 °C. De nombreux radionucléides s’évaporent alors et nous pouvons les collecter. Ensuite, nous isolons les radionucléides que nous voulons, en utilisant la spectrométrie de masse et des méthodes de séparation chimique.
Comment fonctionne la spectrométrie de masse?
Elle consiste à ioniser de manière ciblée un type particulier d’isotopes à l’aide de lasers, pour pouvoir encore mieux les séparer. Le PSI est déjà très bien placé en matière de physique des lasers et collabore aussi étroitement avec le CERN dans ce domaine. C’est une base sur laquelle nous pouvons nous appuyer pour progresser.
Quand pouvons-nous escompter l’utilisation de ces nouveaux médicaments radiopharmaceutiques dans les hôpitaux?
Le développement de médicaments radiopharmaceutiques est un processus long qui dure des années, comme pour les autres médicaments. Avec TATTOOS, nous allons avancer en terrain complètement inconnu et nous aurons besoin de quelques d’années et de beaucoup d’expériences précliniques avant de pouvoir tester un médicament radiopharmaceutique sur des patients.
Texte et interviews: Institut Paul Scherrer/Laura Hennemann