La chercheuse d’air

Julia Schmale, spécialiste en sciences de l’atmosphère, embarquera avec plus de 50 chercheurs à bord d’une expédition maritime qui fera le tour de l’Antarctique en trois mois. La chercheuse et son équipe de l’Institut Paul Scherrer recueilleront sur place des échantillons d’air et des données. Leur objectif est de réussir à mieux distinguer l’influence climatique des poussières fines naturelles de celle des poussières fines générées par l’activité humaine.

Les appareils de recherche sont emballés et prêts à être embarqués: Julia Schmale, chercheuse en sciences de l’atmosphère, se prépare à l’expédition de circumnavigation autour du continent antarctique. (Photo: Scanderbeg Sauer Photography)
Route de l’expédition de circumnavigation autour du continent antarctique (Antarctic Circumnavigation Expedition, ACE). De décembre 2016 à mars 2017, plus de 50 chercheurs seront du voyage pour recueillir des échantillons et des données. Julia Schmale sera parmi eux. (Source: EPFL Infographic/Pascal Coderay)

Julia Schmale se tient toute droite sur sa chaise de bureau au PSI et scrute la feuille A3 fixée au mur, où s’affiche l’Antarctique entouré d’une ligne rouge ondulée. Sur le dossier de sa chaise, la chercheuse a suspendu un blouson de sport bleu glacier et elle porte des baskets grises et violettes. On dirait qu’elle est sur le point d’aller faire du sport ou de se lancer dans une aventure.

Le poster laisse présager de quelle aventure il s’agit. Julia Schmale nous explique ce que signifie la ligne rouge: Le 20 décembre 2016, nous embarquerons à bord d’un navire, au Cap, et c’est là que nous réamarrerons trois mois plus tard. Pendant ces trois mois, Julia Schmale fera le tour de l’Antarctique à bord de l’Akademik Tryoshnikov, un navire russe dédié à la recherche scientifique, avec plus de 50 chercheurs et autant de membres d’équipage. Ils débarqueront en Australie, au Chili, sur plusieurs îles et sur le continent antarctique. Bref, ils feront le tour complet du Pôle Sud dans le sens des aiguilles d’une montre.

Le périple n’aura rien d’une croisière ni d’un safari photos: cette expédition de circumnavigation autour du continent antarctique (Antarctic Circumnavigation Expedition, ACE) est organisée par le Swiss Polar Institut, qui vient d’être fondé. Les glaciologues parmi les membres de l’expédition prélèveront des carottes de glace, les biologistes étudieront les micro-organismes de l’Antarctique, tandis que les climatologues recueilleront des données sur les conditions météorologiques locales et leur impact sur le climat mondial. L’expédition est très interdisciplinaire, je me réjouis de cet élargissement de mes horizons, souligne Julia Schmale.

Cette expédition sera son plus long voyage de recherche à ce jour, mais ce ne sera pas le premier: Julia Schmale s’est déjà rendue au Groenland et au Kirghizstan, à Puerto Rico et au Népal, mais aussi sur l’Ile Bird Island, une île isolée du Subantarctique. «Nous passerons aussi à l’Ile Bird Island lors de cette expédition, dit-elle. Je me réjouis déjà de ces retrouvailles.»

Pollution atmosphérique et changement climatique

Julia Schmale est chercheuse spécialiste en sciences atmosphériques au PSI. Lors de ses études en ingénierie de l’environnement, elle était déjà particulièrement fascinée par les cours de chimie de l’atmosphère. Presque tout ce que fait l’être humain entraîne l’émission de polluants atmosphériques, déclare-t-elle. Lorsque nous prenons la voiture pour aller faire nos achats, quand nous cuisinons, quand nous nous chauffons, lorsque nous évacuons nos déchets et, bien sûr, quand nous prenons l’avion pour partir en vacances: tout cela laisse des gaz et de minuscules particules fines dans l’atmosphère. Or la technologie moderne de filtrage permet de piéger seulement une partie de ces polluants. Et cela a des conséquences. Des chercheurs ont montré que la pollution de l’air était la cause de décès numéro 1 dans le monde parmi les risques environnementaux, avant le paludisme et le manque d’hygiène, insiste encore Julia Schmale. Des millions de gens meurent prématurément à cause de la pollution de l’air.

Mais la chercheuse se veut optimiste et, à ses yeux, ce gros chiffre est aussi porteur d’un gros potentiel: Il serait possible de faire énormément de choses, souligne-t-elle. La qualité de l’air peut aussi énormément améliorer la qualité de vie de beaucoup de gens, et ce de manière nette.

La pollution atmosphérique et les particules fines contribuent par ailleurs au changement climatique. Julia Schmale étudie surtout l’interaction entre poussière fine et nuages. Ces derniers jouent en effet un rôle important dans l’équilibre climatique de la Terre. Mais on n’a pas encore élucidé avec suffisamment de précision la manière dont la poussière fine induite par l’activité humaine modifie leurs propriétés.

A la recherche de l’air préindustriel

Pour pouvoir chiffrer l’influence des particules fines d’origine humaine, les chercheurs ont aussi besoin de valeurs de référence, autrement dits de mesures réalisées dans un air pur. Mais le vent et la circulation de l’air acheminent partout la poussière fine due à l’activité humaine. Sur toute notre planète, il n’y a pas un seul endroit où les conditions qui règnent sont encore celles de l’ère préindustrielle, déplore Julia Schmale. Et l’on remarque à quel point elle aimerait que ce soit le contraire. Mais les chercheurs spécialistes ont de la chance malgré tout: au bout d’un certain temps, les particules fines retombent de l’atmosphère. Or comme l’Antarctique se trouve très à l’écart, on peut y recueillir des échantillons d’air très similaires à l’air préindustriel.

L’objectif de Julia Schmale et de son équipe est de découvrir de cette manière quelle était la composition de l’atmosphère à l’ère préindustrielle. En couplant ces mesures à des données satellites et des modèles de calcul, les chercheurs vont créer une base de données pour pouvoir mieux déterminer le changement induit par l’être humain au niveau de l’air et du climat. Leur but est d’apporter ainsi une contribution concrète au prochain rapport mondial sur le climat.

Julia Schmale redoute-t-elle l’effet de «captivité prolongée» pendant cette longue expédition? Ce ne sera certainement pas facile, l’amplitude de mouvement reste limitée sur le navire et le quotidien ne sera pas très varié, admet-elle. La jeune chercheuse est en effet une adepte de l’ascension des cols alpins à vélo et du marathon. Sur le bateau, elle aura moins de liberté de mouvement qu’elle ne le souhaiterait.

Elle n’emportera donc ni vélo, ni baskets dans ses valises, mais des livres. J’aimerais enfin lire les récits des expéditions en Antarctique de Shackleton, Scott et Amundsen, confie la chercheuse. Et je suis sûre que nous autres membres d’une expédition moderne, nous aurons des histoires et des aventures à nous raconter.

Texte: Institut Paul Scherrer/Laura Hennemann

Contact

Julia Schmale, groupe de recherche Physique des aérosols, Laboratoire de chimie de l’atmosphère,
Institut Paul Scherrer, 5232 Villigen PSI, Suisse
Téléphone: +41 56 310 49 67, e-mail: julia.schmale@psi.ch [allemand, anglais]

Prof. Urs Baltensperger, directeur du Laboratoire de chimie de l’atmosphère,
Institut Paul Scherrer, 5232 Villigen PSI, Suisse
Téléphone: +41 56 310 24 08, e-mail: urs.baltensperger@psi.ch [allemand, anglais]

Informations supplémentaires

Le blog du projet: Dans son bloq la chercheuse Julia Schmale rapportera directement en anglais de l’expédition autour de la région Antarctique. https://www.psi.ch/lac/ace-space-blog