Détecter les sources radioactives dans le transport de marchandises

À moteur à essence, à moteur diesel, à pile à combustible ou tout électrique: quelle est la voiture ayant le plus d’avenir? Une étude du PSI a analysé le bilan climatique des différentes propulsions disponibles. Et s’est aussi projetée en 2040.

Un camion chargé de ciment est en train de passer par le portique qu’Udo Strauch et Rouven Philipp du PSI ont installé au centre de contrôle du trafic lourd à Erstfeld, au terme de trois heures de travail. Depuis le conteneur qu’ils ont amené et qui leur sert à présent de bureau, ils peuvent suivre sur un moniteur ce que mesurent les détecteurs placés dans les six colonnes blanches à gauche et à droite du camion: des rayons gamma émis par du matériau radioactif. Comme l’environnement naturel est, lui aussi, toujours légèrement radioactif, il arrive que le taux de radiation chute quand un camion passe le portique de détection, car il bloque en partie le rayonnement de fond. Mais ce n’est pas ce qui se produit avec notre camion chargé de ciment. Au contraire, il déclenche l’alarme. 

«Cela arrive relativement souvent, explique Udo Strauch. Comme tous les matériaux de la croûte terrestre, le ciment peut contenir d’infimes parts de radionucléides naturels qui émettent un rayonnement gamma.» Des roches comme le granit, le gravier, les sables minéraux, ou encore certains engrais figurent au nombre de ces marchandises qui contiennent plus ou moins de matériau radioactif, suivant leur origine, les procédures de transformation qu’elles ont subies et leur quantité. Il s’agit souvent de parts infimes qui resteraient indétectables, si leur volume était celui d’un sac de sport ordinaire, par exemple. «Mais quand la charge est celle d’un camion de 22 tonnes, la radiation devient mesurable par notre portique», poursuit Udo Strauch.

Si des valeurs remarquables apparaissent lors des contrôles de radioactivité, Udo Strauch du laboratoire d’étalonnage du PSI vérifie les résultats.
(Photo: Scanderbeg Sauer Photography)

Puisque le moniteur du conteneur signale une alarme, le camion chargé de ciment est stoppé. L’expert du PSI en fait le tour avec un appareil de mesure portatif et contrôle la surface de chargement. Le niveau de radioactivité est partout légèrement élevé. Si Udo Strauch devait constater un pic de radioactivité bien net, il se munirait d’un autre appareil de mesure pour déterminer quels sont les radionucléides à l’origine du rayonnement gamma. Mais le camion chargé de ciment ne dépasse pas la limite autorisée pour les matières radioactives naturelles, et le chauffeur peut donc poursuivre son trajet. «Ces alertes montrent que nos instruments de mesure fonctionnent, même si les limites applicables aux radionucléides naturels n’ont encore jamais été dépassées lors de contrôles de ce type de chargement», relève Udo Strauch.

Ferraille radioactive

Mais les exemples effrayants dans le domaine du transport de marchandises existent bel et bien. Ainsi, depuis novembre 2018, quatre sources radioactives ont été découvertes dans les ports de Hambourg et de Rotterdam, semblables à celles qu’emploient la médecine et l’industrie alimentaire pour les irradiations. Ces sources de cobalt 60 sont hautement radioactives. En l’occurrence, elles étaient enfouies dans des conteneurs chargés de ferraille et ont été détectées grâce à des portiques de mesure, comme le rapporte l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). A Hambourg, le cylindre métallique radioactif de 10 centimètres était emballé dans un sac en toile. La livraison de ferraille provenait d’Afrique de l’Ouest. En revanche, on n’a pas réussi à établir d’où provenaient les sources de cobalt 60 détectées aux Pays-Bas. Ce matériau extrêmement dangereux a heureusement pu être récupéré et entreposé en sécurité, sans que personne soit blessé.

Des produits en acier inoxydable, contaminés au cobalt 60, sont aussi apparus en Suisse à la fin de l’année 2008. Apparemment, une source s’était retrouvée dans des matériaux recyclables qui avaient été transformés dans une fonderie en Inde. Or, des boutons d’ascenseur avaient, entre autres, été fabriqués avec cet acier. «Il a fallu les éliminer comme déchets radioactifs, du fait que la limite autorisée avait été dépassée, raconte Reto Linder de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). Cet événement ainsi que d’autres similaires, comme de possibles importations de marchandises contaminées après la catastrophe nucléaire de Fukushima, sont à l’origine de l’introduction de mesures périodiques dans le transport de marchandises.» Des contrôles de radioactivité sont régulièrement conduits depuis 2015. Avec la révision de l’ordonnance sur la radi-oprotection en 2018, l’OFSP a été chargé d’organiser des mesures périodiques dans le transport de marchandises à l’importation, à l’exportation et lors du transit.

«L’exigence est fondée, entre autres, sur des recommandations de l’AIEA et des directives de l’UE», précise Reto Linder. Les Etats-Unis, notamment, avaient insisté sur ce point en raison de la menace terroriste. Des «bombes sales» qui contiennent du matériau radioactif pourraient avoir un impact dévastateur. Mais des sources radioactives égarées, qui peuvent refaire surface n’importe où en raison du commerce mondial de la ferraille, représentent elles aussi un danger pour l’être humain et l’environnement. «La probabilité que du matériau radioactif orphelin soit découvert est certainement plus grande, note Reto Linder. Mais la contrebande de matériau radioactif ne peut pas être exclue – et l’objectif de ces contrôles, c’est aussi de mettre la main dessus.»

Au centre de trafic lourd d’Erstfeld, le PSI effectue le contrôle des camions au moyen d’un portique mobile.
(Photo: Institut Paul Scherrer)

Plusieurs fois par an, Udo Strauch et Rouven Philipp installent donc, sur mandat de l’OFSP, le portique mobile sur différents sites – poste-frontière ou encore centre de contrôle du trafic lourd – afin de procéder à des mesures de radioactivité pendant une semaine, souvent avec le soutien de l’OFSP et l’aide de l’Administration fédérale des douanes (AFD) et de la police. «Nous procédons à une analyse de risque qui montre où les contrôles sont les plus utiles, explique David Marquis de l’AFD. Et nous nous appuyons sur cette base pour coordonner la collaboration entre notre personnel – aux bureaux de douane et aux postes-frontières – et les organisations partenaires, c’est-à-dire le PSI et l’OFSP. Nous épaulons aussi les experts lors des contrôles, en stoppant par exemple les véhicules.» Jusque-là, le PSI a participé à des contrôles menés sur quinze sites répartis dans toute la Suisse: entre autres, au centre de contrôle du trafic lourd d’Erstfeld ou aux postes-frontières de Bâle, de Chiasso et de Kreuzlingen.

L’alarme déclenchée par du tabac

Udo Strauch se réjouit, chaque fois, de la serviabilité et du vif intérêt du personnel des douanes et de la police. Il arrive également qu’un chauffeur de camion veuille savoir pourquoi il est contrôlé et ce qui est alors mesuré. «Parfois, ces contrôles sont même surprenants pour nous», avoue Udo Strauch. Son équipe a par exemple été prise au dépourvu en découvrant qu’un camion ayant déclenché l’alarme transportait du tabac. L’appareil de mesure portatif indiquait que l’alerte était due à du potassium 40. Le potassium est un élément vital pour tous les organismes et contient cet isotope à l’état naturel. La quantité de matière végétale séchée que ce camion transportait était telle que la part de potassium 40 était clairement mesurable. «Ce n’est pas dangereux, en tout cas pas pour les non-fumeurs», assure Udo Strauch.

Mais les déchets radioactifs, comme le radium, que l’on utilisait autrefois dans l’industrie horlogère pour ses couleurs luminescentes, constituent bel et bien une menace. Raison pour laquelle les contrôles ne se limitent pas au transport routier de marchandises. Dès 2021, les usines d’incinération des ordures ménagères (UIOM) et les entreprises de recyclage en Suisse devront également opérer des contrôles à l’arrivée. L’équipe du PSI teste actuellement, sur le site d’une UIOM, ce que l’on peut attendre de ce type de contrôles. Rouven Philipp se souvient encore de cette journée de plein été où une benne chargée de dix tonnes d’ordures ménagères a déclenché l’alarme en passant par le portique de détection. «C’est avec ce cas que nous avons découvert notre premier dépassement de la valeur limite, raconte Rouven Philipp. Il a fallu alors basculer toute la charge et la trier pour localiser la source.» Au bout de trois quarts d’heure, l’équipe a fini par mettre la main sur le sac-poubelle qu’elle recherchait. L’appareil portatif indiquait que les rayons gamma mesurés étaient émis par de la technologie médicale. Un patient avait probablement jeté aux ordures des articles hygiéniques, après avoir été traité dans un centre de médecine nucléaire. Or, ces articles contenaient encore des résidus de radionucléides qui rendaient nécessaires leur collecte et leur élimination de manière appropriée.

Texte: Barbara Vonarburg