Une mission sur Jupiter pour explorer les conditions favorables à la vie

La mission JUICE de l’Agence spatiale européenne (ESA) est sur le point d'être lancée. Elle vise l’exploration de la planète Jupiter et de ses trois plus grandes lunes. A son bord, elle emporte le détecteur high-tech RADEM développé à l’Institut Paul Scherrer PSI. Cet appareil devra, entre autres, fournir des éclaircissements sur les conditions complexes de rayonnement et l’environnement magnétique ultradynamique du système jovien.

Représentation artistique de la mission JUICE d’exploration du système jovien
Représentation artistique de la mission JUICE d’exploration du système jovien. © ESA/ATG medialab

Jupiter est la plus grande planète de notre système solaire: une géante gazeuse, dont la masse équivaut approximativement à un millième de la masse de notre soleil. Avec plus de 80 lunes, elle constitue presque un système solaire à part entière. La mission JUICE de l’ESA vise, entre autres, l’exploration de ses trois plus grandes lunes: Ganymède, Callisto et Europe. JUICE est l’acronyme de Jupiter Icy Moons Explorer, ou exploration des lunes glacées de Jupiter. Les chercheurs soupçonnent en effet qu’elles abritent de gigantesques océans sous leurs épaisses couches de glace et donc une éventuelle vie extraterrestre. Outre répondre aux questions fondamentales sur l’apparition des systèmes planétaires, la mission a donc pour objectif de déterminer si les lunes glacées de Jupiter offrent les conditions nécessaires à l’apparition et à l’existence à long terme de la vie telle que nous la connaissons.

La sonde spatiale voyagera pendant huit ans environ avant d’atteindre le système de Jupiter. Ensuite, la mission de quatre ans débutera. Pour l’accomplir, la sonde est équipée de onze instrument extrêmement complexe. L’un d’eux vient du PSI et a été développé sous la houlette de Wojciech Hajdas, au Laboratoire de physique des particules. Cette caissette discrète porte le nom de RADEM. Avec ses trois kilos et ses dimensions compactes, elle ressemble davantage à une batterie de voiture qu’à un détecteur hypercomplexe. Mais il ne faut pas se fier aux apparences: «RADEM est l’acronyme de Radiation-hard Electron Monitor, explique Wojciech Hajdas. Il s’agit donc d’un moniteur d’électrons résistant aux radiations, qui détectera des particules de haute énergie dans l’environnement difficile de Jupiter.»

Wojciech Hajdas avec un prototype du détecteur directionnel sans revêtement. Une carte de circuit imprimé compacte de ce genre est installée dans RADEM et détecte la direction d’incidence des électrons et des protons. © Institut Paul Scherrer/Mahir Dzambegovic
Gros plan du détecteur directionnel sans revêtement. Les particules sont enregistrées sur la grande surface. © Institut Paul Scherrer/Mahir Dzambegovic
L’instrument de mesure RADEM terminé avec ses quatre détecteurs. Les surfaces jaunes en bas enregistrent chacune un type de particule: des électrons de haute énergie, des ions lourds et des protons (de haut en bas). Le détecteur en forme de tamis au milieu permet de déterminer la direction d’incidence des électrons ou des protons. © Institut Paul Scherrer/Wojciech Hajdas
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Au milieu des ceintures de radiation de Jupiter

A l’instar de la Terre, Jupiter possède un noyau métallique liquide en rotation, qui génère un champ magnétique. Si des particules chargées, comme des électrons et des protons, pénètrent dans ce champ, elles y sont piégées et accélérées sur des orbites en spirale autour de la planète. Comparée à la Terre, cette accélération est plus forte de plusieurs fois, ce qui se traduit par un rayonnement synchrotron de haute énergie, une forme spéciale de rayons X. Et ce n’est pas tout: l’activité volcanique, fréquente sur la lune jovienne Io, par exemple, éjecte elle aussi des atomes et des molécules supplémentaires dans l’espace. Les collisions avec les électrons les ionisent: autrement dit, ils acquièrent une charge électrique et se retrouvent également sous l’emprise du gigantesque champ magnétique de Jupiter.

De telles conditions de radiation infernales seraient mortelles pour nous autres, êtres humains, mais pas seulement: elles représentent également un grand danger pour des sondes spatiales sans équipage et leur électronique sophistiquée. «Une partie de l’électronique a été développée explicitement pour cette mission et présente une grande résistance aux radiations, explique Wojciech Hajdas. Tous les appareils embarqués dans la sonde possèdent par ailleurs un revêtement spécial pour qu’ils puissent supporter les conditions extrêmes qui règnent dans les ceintures de radiation de Jupiter. Cependant, un séjour prolongé dans certaines zones peut provoquer des dégâts.» Pour éviter cela, RADEM est directement relié à l’ordinateur de bord de la sonde. «Si la dose de rayonnement dépasse certaines valeurs, le détecteur déclenche un signal d’alarme, détaille encore Wojciech Hajdas. Comme les manœuvres d’évitement sont difficiles à exécuter, les appareils particulièrement sensibles peuvent être éteints dans de tels cas et restent ainsi protégés jusqu’à ce que les valeurs en matière de radiation reviennent dans les limites autorisées.»

Toutefois, RADEM ne sert pas uniquement de sonnette d’alarme: il a également pour mission de cartographier les ceintures de radiation complexes de Jupiter et de recueillir des informations sur leur environnement et les particules qu’elle contient. «Le système jovien est absolument unique en son genre, souligne Wojciech Hajdas. C’est l’un des environnements les plus radiatifs de tout le système solaire, un gigantesque accélérateur naturel de particules. L’étudier permet non seulement de comprendre de manière plus approfondie les fondements de la physique, mais aussi d’appliquer les modèles d’interactions qui règnent là-bas à d’autres systèmes, comme les activités solaires et leur influence sur les ceintures de radiation et la magnétosphère de la Terre.»

Pour sa mission, RADEM est équipé de quatre détecteurs distincts, un pour chaque type de particule: électrons, protons et ions lourds. «Le quatrième détecteur enregistre soit des électrons, soit des protons, poursuit Wojciech Hajdas. Avec une couverture angulaire d’environ 35 %, cela permet de déterminer la direction d’incidence de ces particules et donc la répartition spatiale de l'environnement de rayonnement.» Toutes ces données doivent alors être traitées et stockées dans un laps de temps très bref. Le tout dans un espace très restreint afin de rendre l’appareil aussi léger que possible.

Une vie extraterrestre sous la glace et les radiations?

Les ceintures de radiation de Jupiter s’étirent sur plusieurs millions de kilomètres dans l’espace. Les densités et les vitesses de particules les plus élevées ont été enregistrées à quelque 670 000 kilomètres autour de la géante gazeuse, dans l’orbite de la lune jovienne glacée Europe. De prime abord, cela peut sembler paradoxal que l’on soupçonne l’existence d’un habitat potentiel pour une vie extraterrestre sur une lune, située à quelque 780 millions de kilomètres du soleil, qui évolue dans une zone de mort aussi irréelle et glacée. Alors que les radiations rendent toute vie impossible à la surface d’Europe, il se pourrait toutefois que les interactions avec la couche de glace induisent des réactions chimiques qui servent de carburant pour la vie. L’irradiation mortelle serait donc indirectement capable d’alimenter en énergie une vie microbienne, sans photosynthèse ni présence de sources hydrothermales.

«Grâce aux données recueillies par les missions précédentes et aux observations faites depuis la Terre, il existe de nombreuses suppositions et de nombreux calculs concernant l’existence d’une vie sur les lunes de Jupiter, précise Wojciech Hajdas. Avec JUICE nous serons en mesure de mieux comprendre la complexité du système jovien. Le but n’est pas de trouver de la vie, mais de mieux comprendre l’environnement pour éventuellement en déduire la possibilité ou l’impossibilité d’un habitat.»

RADEM surveille aussi la météo spatiale

Alors que pendant les huit années que durera le voyage une bonne partie des instruments de mesure à bord de JUICE resteront éteints, RADEM aura pour sa part une mission à accomplir durant ce périple: mesurer l’environnement radiatif du système solaire et son interaction avec l’activité du soleil. «Entre Vénus et Jupiter, RADEM déterminera le spectre de particules et leurs doses dans l’espace, explique Wojciech Hajdas. Ce faisant, il cartographiera un paramètre important de ce qu’on appelle la météo spatiale dans cette région.» Le soleil éjecte en permanence des particules dans l’espace. Celles-ci peuvent non seulement infliger des dommages aux satellites liés aux radiations, mais aussi perturber le champ magnétique terrestre. Les variations de ces flux sont susceptibles de causer des surtensions dans les réseaux de lignes électriques et donc des pannes. «L’activité de notre soleil suit un cycle régulier d’environ onze ans, rappelle Wojciech Hajdas. Pendant cette période, elle oscille entre une phase de repos et une phase de tempêtes solaires plus fréquentes. RADEM devrait contribuer à une meilleure compréhension de ces activités, mais aussi de leur influence sur notre planète et sur de futures missions, comme une éventuelle mission habitée vers Mars, par exemple.»

Contrairement à d’autres expéditions similaires, la mission JUICE a donc lieu pendant ce que l’on appelle le maximum solaire, c’est-à-dire une phase solaire très active. Pour garantir la fonctionnalité du détecteur pendant ce voyage, et surtout pendant son séjour dans la ceinture de Jupiter, il a fallu le soumettre à plusieurs tests de stress au cours de son développement. «Le PSI, avec ses grandes installations de recherche, offre des possibilités uniques d’imiter l’exposition aux rayonnements dans l’espace, explique le physicien. Avec l’installation d’irradiation par flux de protons PIF, l’accélérateur de protons HIPA et une chambre à vide spéciale pour les électrons à basse énergie, nous avons pu créer des conditions semblables à celles qui règnent dans l’espace et préparer RADEM au mieux pour sa mission.» D’autres instituts de recherche impliqués dans la mission, comme l’Université de Berne qui a elle aussi développé deux détecteurs pour JUICE, ont également apporté leurs appareils au PSI pour les tests au rayonnement.

Avec ses grandes installations de recherche renommées, le PSI a produit un savoir unique en matière de développement et d’exploitation de détecteurs de particules. Un savoir qui ne s’applique pas seulement dans les laboratoires, mais maintenant aussi dans l’immensité de l’espace lors de cette importante mission.

Portrait de la mission JUICE

Au terme d’un voyage d’environ huit ans, la sonde spatiale JUICE devrait atteindre le système de Jupiter en 2031. Celui-ci se trouve à tout juste 780 millions de kilomètres du soleil, et c’est un monde glacial et sombre. Les températures à la surface de ses lunes glacées peuvent tomber jusqu’à moins de 140 degrés Celsius.

Le premier – et principal – objectif de la mission JUICE sera la lune Ganymède. Ganymède fait environ une fois et demie la taille de notre lune et est donc la plus grande lune du système solaire. Il s’agit aussi de la seule lune de notre système solaire qui génère son propre champ magnétique. L’interaction avec la magnétosphère de Jupiter revêt à cet égard un intérêt tout particulier. Des missions spatiales plus anciennes et des modélisations suggèrent en effet que Ganymède abrite un océan sous les 150 kilomètres de sa couche de glace. L’interaction gravitationnelle avec Jupiter pourrait offrir de l’énergie sous forme de chaleur et donc la condition nécessaire à l’apparition de la vie, mais aussi à son existence à long terme. JUICE effectuera douze survols et s’approchera à 200 kilomètres de la surface.

La lune Callisto est elle aussi habillée d’une épaisse couche de glace. Il n’est toutefois pas certain que cette dernière recouvre un océan. Son paysage de cratères donne à penser qu’il n’y a pas d’activité géologique et qu’il s’agit probablement de l’une des plus anciennes surfaces dans le système jovien. Ici également, JUICE effectuera 21 survols et s’approchera à 200 kilomètres de la surface.

En raison de son environnement radiatif difficile, seuls deux survols de la lune Europe sont prévus, à une distance d’environ 400 kilomètres de la surface. Comparée à Callisto, cette surface est beaucoup plus jeune et l’activité tectonique la modifie en permanence. Comparée à Ganymède, sa croûte de glace n’a que 15 kilomètres d’épaisseur et est donc beaucoup plus mince. L’océan gigantesque que l’on soupçonne en dessous devrait contenir beaucoup plus d’eau que tous les océans de la Terre réunis. Des similitudes avec l’environnement marin profond de la Terre donnent à penser que les océans d’Europe sont peuplés d’organismes microbiologiques. Europe est considérée comme le site le plus prometteur pour de la vie extraterrestre. Lors de ses deux survols, JUICE tentera de prélever des échantillons d’eau de mer qui jaillit de fissures dans la croûte glaciaire pour y rechercher des molécules organiques. Celles-ci pourraient indiquer la présence de vie.

Hormis le PSI, l’Université de Berne est la deuxième institution suisse à soutenir la mission JUICE. Elle a développé à cet effet le spectromètre de masse à ions neutres NIM pour déterminer la composition des atmosphères lunaires.

À propos du PSI

L'Institut Paul Scherrer PSI développe, construit et exploite des grandes installations de recherche complexes et les met à la disposition de la communauté scientifique nationale et internationale. Les domaines de recherche de l'institut sont centrés sur des technologies d'avenir, énergie et climat, innovation santé ainsi que fondements de la nature. La formation des générations futures est un souci central du PSI. Pour cette raison, environ un quart de nos collaborateurs sont des postdocs, des doctorants ou des apprentis. Au total, le PSI emploie 2300 personnes, étant ainsi le plus grand institut de recherche de Suisse. Le budget annuel est d'environ CHF 460 millions. Le PSI fait partie du domaine des EPF, les autres membres étant l'ETH Zurich, l'EPF Lausanne, l'Eawag (Institut de Recherche de l'Eau), l'Empa (Laboratoire fédéral d'essai des matériaux et de recherche) et le WSL (Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage). (Mise à jour: juin 2024)

Informations supplémentaires

Contact

Dr Hajdas Wojciech
Laboratoire de physiques des particules
Institut Paul Scherrer, Forschungsstrasse 111, 5232 Villigen PSI, Suisse
Téléphone: +41 56 310 42 12, e-mail: wojtek.hajdas@psi.ch [allemand, anglais]