40 ans de succès: le traitement par protons du cancer de l’œil

En mars 1984, des patients étaient traités par protons pour la première fois contre un type de cancer rare mais très agressif: une tumeur oculaire. Le traitement – mené à l’Institut Paul Scherrer PSI et premier du genre en Europe occidentale à l’époque – fut un succès complet. Depuis, les scientifiques du PSI et de l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin à Lausanne n’ont cessé d’améliorer cette thérapie. Elle permet non seulement de sauver la vie des patients, mais aussi leur vue dans la plupart des cas.

Alessia Pica à l’installation d’irradiation OPTIS 2. «La bonne nouvelle, c’est que nous pouvons mettre la tumeur oculaire hors d’état de nuire.» © Institut Paul Scherrer PSI/Mahir Dzambegovic

«Apprendre que l’on a un cancer est une catastrophe, mais découvrir que la tumeur est située au niveau de l’œil affecte la plupart des malades de manière particulièrement violente, explique Alessia Pica, radio-oncologue et responsable des traitements oculaires au Centre de protonthérapie du PSI. Pour beaucoup de gens, l’œil est un lien vers l’âme et la principale façon d’entrer en contact avec les autres. La perspective de perdre éventuellement un œil est une tragédie pour les personnes concernées.»

Au PSI, Alessia Pica traite des personnes atteintes de ce type de cancer très rare: le cancer de l’œil. En Suisse, une soixantaine de personnes développent chaque année une tumeur de ce genre. Le terme «cancer de l’œil» regroupe plusieurs types de tumeurs; l’une d’entre elles est le mélanome de la choroïde, une tumeur qui se développe à partir des cellules pigmentées – ces cellules qui donnent sa couleur à l’œil. 

Une fois diagnostiqué, ce cancer nécessite que l’on agisse particulièrement vite. Car les tumeurs sont en général des bombes à retardement: dans de nombreux cas, elles forment des métastases qui, si elles ne sont pas traitées, entraînent la mort en l’espace de quelques mois. «Ce sont des tumeurs très agressives», relève Alessia Pica. Parmi ses patients figurent aussi des jeunes gens de 16 à 39 ans: «Ce n’est pas un cancer qui concerne uniquement les sujets âgés», note-t-elle encore.

Comment tout a commencé 

Avant les années 1980, en cas de tumeurs oculaires, il n’y avait guère qu’une seule possibilité: retirer le globe oculaire lors d’une opération appelée énucléation. Mais par la suite, des chercheurs du Centre de protonthérapie au PSI ont établi une thérapie alternative avec leurs collègues de l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin à Lausanne: la tumeur, dont l’épaisseur est souvent inférieure à un centimètre, est irradiée de manière très ciblée par des protons, c’est-à-dire des particules chargées positivement. «Nous nous efforçons de mettre la tumeur hors d’état de nuire, mais pas seulement: nous essayons en même temps de sauver l’œil et, si possible, de conserver la vue», explique Damien Weber, médecin-chef et directeur du Centre de protonthérapie.

En 1975, des médecins de Boston, aux Etats-Unis, ont irradié par protons une tumeur de l’œil. Un succès. Ce type d’irradiation permet de contrôler de manière très précise la profondeur de pénétration. Résultat: les protons déposent la majeure partie de leur énergie dans la tumeur, alors que les tissus sains situés à l’arrière de celle-ci sont ménagés. Dans le cas des tumeurs oculaires, c’est un avantage important, car l’œil est un organe très sensible.

Moins d’une décennie plus tard, deux pionniers établissaient cette nouvelle méthode de traitement en Suisse: Charles Perret, physicien au PSI, et Leonidas Zografos, ophtalmologue spécialisé en oncologie oculaire à l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin à Lausanne. Ensemble, ils ont adapté la méthode qui avait fait ses preuves à Boston et ont continué à l’améliorer. OPTIS a vu le jour: une installation qui permet d’irradier de manière ciblée et très précise les tumeurs oculaires. L’un des premiers patients en mars 1984 était un photographe du journal romand «La Tribune-le Matin», qui a publié avec une collègue un article sur la nouvelle méthode de traitement.

L’équipe OPTIS dans la salle de contrôle pendant le traitement du premier patient en mars 1984. Les deux initiateurs du projets sont présents: Charles Perret (assis) et Leonidas Zografos (debout, troisième depuis la droite). © Institut Paul Scherrer PSI

Amélioration continue 

L’installation d’irradiation à laquelle les premiers patients ont été traités n’existe plus. Dans les années 2000, le Centre de protonthérapie a été doté d’un nouvel accélérateur de particules et, avec lui, d’une toute nouvelle installation de traitement pour les tumeurs de l’œil: OPTIS2 a été mise en service en 2010. «Grâce à sa conception unique, OPTIS2 a pu être couplée directement au cyclotron à haute énergie, en même temps que les Gantrys, des installations de traitement auxquelles on irradie d’autres types de cancer, explique Jan Hrbacek, chef de groupe OPTIS. Nous sommes actuellement en mesure de positionner le patient sur son fauteuil avec une grande précision: l’écart par rapport à la position prévue dans le logiciel de traitement est inférieur à 0,3 millimètres au maximum.» Ce point est important si l’on veut que le faisceau de protons atteigne précisément la tumeur. Ni plus, ni moins.

L’installation d’irradiation OPTIS 2: le faisceau de protons (arrivant depuis la droite sur la photo) est adapté à la taille et à l’énergie requises pour traiter cette tumeur spécifique. La patiente regarde le faisceau de protons de face et doit orienter son œil de telle sorte que la tumeur se trouve exactement dans le trajet des rayons. Elle-même est fixée dans le fauteuil de traitement avec un masque et un appui buccal afin d’éviter qu’elle ne bouge et ne compromette le succès du traitement. © Scanderbeg Sauer Photography

La méthode d’irradiation proprement dite est restée la même jusqu’à aujourd’hui. Pour que l’on puisse visualiser la tumeur à la radiographie, le patient est d’abord opéré à l’Hôpital ophtalmique sous anesthésie générale: tout autour de la tumeur, on lui coud de minuscules plaquettes métalliques («anneaux de tantale») sur la sclère, la couche externe du globe oculaire. De la sorte, la tumeur est bien visible aux rayons X. Ensuite, la protonthérapie se déroule au PSI pendant quatre jours consécutifs de la même semaine. L’irradiation proprement dite ne dure qu’une minute au maximum par séance. «Nous irradions la tumeur avec une forte dose de rayons, car les mélanomes sont très résistants aux radiations», précise Damien Weber.

Lorsque l’on traite une tumeur oculaire, il ne faut pas traîner, explique Alessia Pica. En effet, le risque est grand de voir des métastases apparaître. «Dès que le diagnostic est posé, on convient d’un rendez-vous pour l’intervention chirurgicale des anneaux de tantale, détaille-t-elle. En général, la semaine suivante, on commence l’irradiation. De nombreux patients n’ont pas le temps de réaliser qu’ils ont le cancer.» 

La coopération est la clé du succès 

L’œil est un organe sensible et complexe, et en conséquence, le traitement de tumeurs oculaires est complexe. L’irradiation au PSI ne suffit pas. Dans les années qui suivent la protonthérapie, le suivi se fait à l’Hôpital ophtalmique à Lausanne. Entre-temps, une ancienne collaboratrice de Leonidas Zografos lui a succédé et a pris la direction du service d’oncologie oculaire pour adultes: Ann Schalenbourg.

«A ses débuts, la protonthérapie au niveau l’œil avait une mauvaise réputation, rappelle Ann Schalenbourg. Certains collègues ont affirmé que la radiothérapie provoquait tant d'effets secondaires,, qu’à la fin, il fallait de toute façon retirer l’œil. Mais Leonidas Zografos croyait fermement à cette méthode.» Il a continué à améliorer le traitement et le suivi et le temps lui a finalement donné raison: il est possible d’éradiquer la tumeur oculaire par protonthérapie; en même temps, un suivi adéquat permet de sauver l’œil. Désormais, les patients reçoivent, entre autres, un médicament prophylactique: des anticorps monoclonaux (comme le bévacizumab, le ranibizumab ou l’aflibercept) qui sont injectés dans l’œil irradié. Le médicament inhibe la reformation de vaisseaux sanguins et empêche ainsi les hémorragies et d’autres complications.

Ann Schalenbourg, de l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin à Lausanne: «A ses débuts, la protonthérapie au niveau de l’œil avait une mauvaise réputation.» Entre-temps, la donne a complètement changé. © Hôpital ophtalmique Jules-Gonin

«C’est inspirant de collaborer avec un hôpital aussi spécialisé dans le traitement des yeux, estime Damien Weber. L’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin est le seule du genre en Suisse.» Le PSI collabore également avec le Clinique ophtalmologique de l’Université de Zurich et avec l’Hôpital universitaire d’ophtalmologie et d’optométrie à Innsbruck, en Autriche.

Succès 

Le taux de succès de l’irradiation au PSI est inégalé à échelle mondiale: dans 98 % des cas, la tumeur peut-être complètement détruite dans la zone irradiée et ne se redéveloppe pas. Grâce aux travaux de recherche intensifs menés à l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin, le suivi a été optimisé, si bien qu’aujourd’hui, plus de 90% des patients traités conservent leur œil et l’énucléation, qui était le traitement standard par le passé, n’est plus nécessaire par la suite. Plus de 60% des patients conservent également la vue.

A ce jour, plus de 8000 patients ont été irradiés au PSI pour une tumeur oculaire. «C’est plus que dans n’importe quel autre centre de traitement», souligne Jan Hrbacek. Et Alessia Pica ajoute: «J’espère qu’à l’avenir, il y aura toujours des personnes qui se consacreront complètement au traitement de ce type de tumeurs. Ce n’est pas quelque chose que l’on fait en passant. Il faut vraiment bien connaître ce cancer pour réussir à le traiter.» 


Texte: Brigitte Osterath

© Le PSI fournit gratuitement des images et/ou du matériel vidéo pour la couverture médiatique du contenu du texte ci-dessus. L'utilisation de ce matériel à d'autres fins n'est pas autorisée. Cela inclut également le transfert des images et du matériel vidéo dans des bases de données ainsi que la vente par des tiers.

Prof. Damien Charles Weber
Médecin-chef et directeur du Centre de protonthérapie 
Institut Paul Scherrer PSI

+41 56 310 58 28
damien.weber@psi.ch 
[français, anglais]

Dr Alessia Pica
Radiooncologue en chef, responsable d’OPTIS 
Institut Paul Scherrer PSI

+41 56 310 26 57
alessia.pica@psi.ch 
[français, anglais]

Dr Jan Hrbacek
Chef de groupe Systèmes de planification des traitements et OPTIS 
Institut Paul Scherrer PSI

+41 56 310 37 36
jan.hrbacek@psi.ch 
[allemand, anglais]


À propos du PSI

L'Institut Paul Scherrer PSI développe, construit et exploite des grandes installations de recherche complexes et les met à la disposition de la communauté scientifique nationale et internationale. Les domaines de recherche de l'institut sont centrés sur des technologies d'avenir, énergie et climat, innovation santé ainsi que fondements de la nature. La formation des générations futures est un souci central du PSI. Pour cette raison, environ un quart de nos collaborateurs sont des postdocs, des doctorants ou des apprentis. Au total, le PSI emploie 2200 personnes, étant ainsi le plus grand institut de recherche de Suisse. Le budget annuel est d'environ CHF 420 millions. Le PSI fait partie du domaine des EPF, les autres membres étant l'ETH Zurich, l'EPF Lausanne, l'Eawag (Institut de Recherche de l'Eau), l'Empa (Laboratoire fédéral d'essai des matériaux et de recherche) et le WSL (Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage). (Mise à jour: juin 2023)